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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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peut opposer les résultats contraires qui se produisent dans les contrées où règne la liberté.

Et quand même une race hybride ne pourrait se former, quand même les Blancs et les

Noirs seraient des espèces complètement irréductibles, la différence de couleur et

d’origine devrait-elle nécessairement produire la haine et l’injustice ? La distinction des

races change-t-elle le mal en bien et le bien en mal, ainsi que le prétendent les

propriétaires d’esclaves ? Ceux-ci ne peuvent avoir qu’une seule raison de haïr leurs

Nègres : le mal qu’ils leur font en leur ravissant la liberté. Autrefois, lorsque les esclaves

blancs était un article de pacotille, lorsqu’on les achetait en Angleterre pour les revendre

en Amérique aux enchères, lorsque des foires d’hommes se tenaient sur les vaisseaux

arrivés d’Europe, lorsque les Écossais capturés à la bataille de Dunbar, les royalistes

vaincus à Worcester, les chefs des insurgés de Penraddoc et les catholiques irlandais

étaient vendus au plus offrant, les planteurs éprouvaient pour ces Blancs le même dégoût

qu’ils montrent aujourd’hui à leurs Nègres. De même lorsque les Indiens capturés à la

guerre faisaient partie du butin, que tous les Peaux-Rouges ennemis étaient d’avance

condamnés à l’esclavage ou à la mort, lorsque le gouvernement de la Caroline du Sud

offrait 50 dollars par tête d’indigène assassiné, les Indiens étaient, comme les Nègres, des

objets d’horreur pour les envahisseurs blancs. Ce qui toutefois a relevé les petits-fils des

esclaves blancs aux yeux de leurs compatriotes les planteurs, c'est le titre d’hommes libres

qu’ils ont acquis. Maintenant ils sont en tout point les égaux de leurs anciens maîtres, et

plusieurs d’entre eux occupent les fonctions les plus élevées de notre République. Les

Indiens aussi, en combattant pour leur liberté et en refusant obstinément le travail qu’on

voulait leur imposer, ils ont su conquérir une certaine égalité. Pour mieux conquérir le

respect des Américains, les Indiens des Cinq Nations civilisées (Cherokees, Choctaws,

Chickasaws et Séminoles) se sont faits, eux aussi, propriétaires d’esclaves. Les

Cherokees, établis à l’ouest de l’Arkansas, possédaient plus de deux mille Nègres. Ils sont

tenus en estime malgré la couleur de leur peau, et d’après le Code Noir, le sang qui coule

dans leurs veines est, comme celui du Blanc, le sang de la liberté.

Une preuve que la vraie cause de l’opprobre qui pèse sur les Nègres n’est point la

couleur, mais bien l’esclavage. C’est que les Blancs, qui comptent un seul Africain parmi

leurs ancêtres, sont considérés comme des Noirs en dépit de la clarté de leur peau. Un

seul globule impur suffit pour souiller tout le sang du cœur. Il y a quelques années, le

bruit se répandit qu’un des personnages les plus éminents de la Louisiane n’était pas de

race pure car l’une de ses trisaïeules avait vu le jour en Afrique. Le scandale fut immense,

un procès émouvant se déroula devant la haute Cour, et bien que le défenseur ait réussi,

par ses larmes et ses arguments, à laver le prévenu de cette énorme accusation, bien qu’il

ait pu faire prononcer que la trisaïeule était née de parents indiens, et que les seize

seizièmes du sang de son client ne charriaient pas une goutte impure. Néanmoins et

malgré l’acquittement, le soupçon et le mépris ne cessèrent de planer sur l’accusé. Quand

même les principes sacrés de l’hérédité, le fait accompli, la différence de couleur,

l’antagonisme historique des Blancs et des Noirs, seraient insuffisants pour justifier la

prise de possession des esclaves, les défenseurs de l’institution particulière ne s’en

croiraient pas moins en droit d’agir comme ils l’ont fait jusqu’à nos jours.

Même si l’esclavage était en désaccord avec les lois de la morale vulgaire, les

Américains devraient le maintenir par bonté d’âme, car le bien des Nègres eux-mêmes

l’exige ! Quel bonheur, disent les propriétaires d’esclaves, « quel bonheur pour les

pauvres Noirs d’avoir échangé leur servitude sur les rives du Niger contre une servitude

sur celles du Mississippi ! Ils vivaient comme des animaux à l’ombre de leurs baobabs,

ils étaient vendus pour une bouteille d’eau-de-vie ou faits captifs dans quelque guerre

sanglante, ils avaient sans cesse à craindre d’être sacrifiés vivans sur la tombe d’un chef.

Pour eux, aucun progrès : grossiers et nus comme leurs pères, ils n’avaient d’autre joie

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