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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Nègres, dont les conditions d’hygiène ont été changées par le climat du Nouveau-Monde,

et qui redoutent à juste raison le climat à la fois humide et torride d’Afrique tropicale. Si

on les transportait malgré eux, on accomplirait un forfait semblable à celui qu’on a

commis envers leurs ancêtres en organisant, sur une échelle gigantesque, la proscription

en masse de plusieurs milliers d’hommes. Non, puisqu’on a arraché les Nègres à leur

première patrie, qu’on les laisse maintenant dans celle qu’on leur a donnée ! Ils sont nés

en Amérique, ils y ont passé leur enfance, ils y ont souffert, qu’ils puissent enfin y être

heureux ! Ils ont été torturés par des maîtres, qu’ils deviennent citoyens et jouissent de la

liberté ! Le même sol qui a vu leur avilissement doit être le théâtre de leur réhabilitation.

Si plusieurs d’entre eux veulent contribuer par leur travail à la prospérité de Liberia, les

rapports entre les deux continents et les progrès de la civilisation ne peuvent qu’y gagner,

mais n’est-il pas probable et même certain que presque tous les Nègres de l’Amérique

septentrionale se grouperont peu à peu dans les îles merveilleuses de la mer azurée des

Caraïbes, sur les plages du golfe du Mexique, dans l’Amérique tropicale, où leurs frères

ont déjà fondé diverses républiques douées de tous les germes d’une grande prospérité

future ? Qui sait même si un jour, les magnifiques pays que le flibustier William Walker

avait baptisés du nom d’Empire indien, formeront une vaste république de Nègres ?

Si les gouvernements des États sudistes étaient sages, ils tâcheraient de conjurer les

dangers de l’avenir par une émancipation graduelle des esclaves. Ils devraient d’abord

proclamer la liberté de tous les négrillons nés ou à naître sur leurs plantations, puis les

faire instruire dans les écoles publiques professionnelles, et les émanciper à l’âge de vingt

ans. Tel est, moins l’instruction gratuite et obligatoire, le moyen qu’ont adopté la plupart

des États du Nord et diverses républiques de l’Amérique espagnole, afin d’obtenir

l’extinction graduelle de l’esclavage. Telle était aussi la loi que, dans ses sessions de 1831

et de 1832, la législature que l’État de Virginie fut sur le point de voter. Néanmoins, elle

rejeta ce projet de loi surtout par haine le Parti abolitionniste qui commençai à agiter la

société sudiste. On devrait aussi permettre aux esclaves de se louer eux-mêmes et de se

racheter graduellement en accumulant leurs petites épargnes, accorder au fils libre, ainsi

que le stipulait dans les colonies françaises la loi connue sous le nom de loi Mackau, le

privilège de libérer par son travail son père, sa mère, ou les autres membres de sa famille.

Surtout il faudrait relever les Nègres à leurs propres yeux en offrant la liberté en prime

à tous les esclaves qui se distingueraient par leur amour du travail et leur intelligence. En

prévision de la liberté, on formerait ainsi une génération qui en serait digne. Ces mêmes

planteurs qui ont pu décider le gouvernement fédéral à faire offrir plusieurs fois la somme

de 200 millions de dollars, plus d’un milliard de francs, pour l’achat de l’île de Cuba,

c'est-à-dire pour l’annexion d’un million d’esclaves et l’aggravation des dangers qui les

menacent, pourraient bien consacrer cette même somme à la transformation d’un peuple

d’esclaves en un peuple d’hommes libres. En ayant recours à l’expédient de

l’émancipation graduelle, les planteurs éviteraient une effroyable guerre des races, sans

avoir à craindre de se réduire eux-mêmes à la mendicité. Pendant toute la durée d’une

génération, ils auraient le temps de se préparer à l’avènement de la liberté, ils

s’accoutumeraient à voir à côté d’eux une foule toujours grossissante de Nègres libres.

Ils se débarrasseraient peu à peu de leurs préjugés et de leurs haines, et devant le monde

se libéreraient du crime qui pèse maintenant sur eux et les signale à la répulsion de tous.

Certains activistes abolitionnistes espèrent que les évasions de Nègres finiront par faire

décroître sensiblement le nombre des esclaves, et forceront peu à peu les maîtres à

abandonner par lassitude leurs titres de propriété. Malheureusement ces âmes naïves ne

se font aucune idée des obstacles presque insurmontables que rencontrent les Nègres ou

les hommes de couleur fugitifs. Il est nuit : au clair de lune, l’esclave évadé voit

disparaître derrière les champs de cannes les lourdes cheminées de l’usine et les pacaniers

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