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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Au lieu de donner des armes aux Nègres fugitifs et de leur dire : défendez-vous ! Les

antiesclavagistes ont commencé par expulser tous les hommes de couleur qui habitaient

le Kansas puis ils ont inscrit en tête de sa Constitution qu’ils votaient une défense formelle

à tout Nègre, esclave ou libre, de jamais mettre le pied sur leur territoire. Le Blanc seul

peut avoir une patrie : peu importe que le Noir vive ou meure sur la terre d’esclavage,

mais que jamais il ne vienne souiller de sa présence une terre de liberté ! Il est vrai que la

décision des free-soilers du Kansas n’a pas été acceptée par John Brown, Montgomery et

d’autres abolitionnistes militants qui ont libéré beaucoup d’esclaves en Missouri et les

ont expédiés vers le Canada, mais elle n’en a pas moins été rendue. Telle a été aussi la

décision de l’Orégon, de l’Illinois, et de plusieurs autres États qui ont envoyé au Congrès

de chauds défenseurs de la liberté. L’Ohio, qui s’était toujours vanté de sa généreuse

hospitalité envers les Nègres libres, vient de décider, par l’organe de sa Cour suprême,

que désormais les enfants de couleur ne pourront plus être admis dans les écoles primaires

fréquentées par les Blancs. À peine l’État de New-York avait-il donné la grande majorité

de ses voix à M. Lincoln dans l’élection présidentielle de 1860, qu’il votait en masse

contre la concession du droit de suffrage aux Nègres qui ne possédaient pas 150 dollars.

Après avoir vu les injustices commises par les esclavagistes contre les Nègres, il nous

est réservé de voir celles que commettront les abolitionnistes. La raison avouée de cette

exclusion des Noirs est une prétendue incompatibilité entre les hommes des deux races,

mais la raison véritable est qu’en offrant leurs bras dans le grand marché du travail, les

gens de couleur font une concurrence sérieuse aux Blancs et déterminent une dépréciation

du taux des salaires. Quatre millions d’esclaves, mal logés, mal vêtus, mal nourris,

produisent le tabac et d’autres denrées moins cher que les agriculteurs du Nord. De même,

si des millions de Nègres libres étaient admis dans les États du Nord, tous les ouvriers

blancs devraient immédiatement se contenter pour leur travail d’une rémunération

comparativement bien plus faible qu’aujourd’hui. C’en est assez pour que les Nègres

soient mis au ban de la République. Une et seule même raison, la haine de toute

concurrence, rend ainsi les habitants du Nord à la fois abolitionnistes et négrophobes.

Que de fois à Cincinnati et dans d’autres villes du Nord, les ouvriers de race blanche

se sont mis en grève pour obliger les propriétaires des fabriques ou les entrepreneurs des

constructions à renvoyer les Nègres qu’ils faisaient travailler ! Il en est de même à Saint-

Louis, la métropole des États mississippiens et peut-être la future capitale des États-Unis.

Dans cette ville, le Parti négrophobe ou soi-disant Parti républicain l’emporte d’ordinaire

dans les élections municipales mais, sous prétexte de donner la liberté aux Noirs, la

plupart des votants n’ont en vue que de les affamer et de les exterminer par la misère.

Lors de la guerre du Kansas, les planteurs du Missouri, qui, se sont hâtés de vendre leurs

Nègres sur les marchés du Sud afin de se prémunir contre leur insurrection ou l’invasion

des bandes de John Brown, sont aussi devenus abolitionnistes à leur manière depuis que

leur fortune ne repose plus sur le travail servile. N’ayant plus d’esclaves, rien de plus

naturel pour eux que de se faire les ennemis acharnés de ceux qui en possèdent. Il ne faut

donc point s’étonner si beaucoup de Nègres intelligents redoutent leurs prétendus

libérateurs bien plus encore que leurs maîtres. Pour ceux-ci, il ne sont que hors la loi

tandis que pour les hommes du Nord, ils sont souvent hors l’humanité.

Aussi la vie du Nègre libre dans le Nord est toujours plus que difficile, souvent

intolérable. Tandis que la population de couleur augmente dans les États à esclaves avec

une rapidité égale, elle reste stationnaire ou ne s’accroît que lentement dans la prétendue

terre de liberté. Le recensement de l’État de New-York, prouve que, de 1850 à 1855, le

nombre des hommes de couleur a diminué de 3 000 en cinq années, tandis que le nombre

de Blancs passait de 3 millions à 3 500 000. En même temps la population de couleur se

dégradait et s’avilissait par les débauches et s’atrophiait par des maladies de toute espèce.

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