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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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les États du Nord deviennent les ennemis les plus acharnés de l’esclavage, non par amour

des Noirs, mais par haine des maîtres. C’est même en partie à l’opposition de ces

plébéiens que le Missouri doit le plus fort Parti abolitionniste qui balance dans la

législature le pouvoir des planteurs patriciens.

Les riches propriétaires sudistes n’ignorent point qu’ils ont tout à craindre de cette

plèbe envieuse qui voit passer avec dépit leurs fastueux équipages, mais les institutions

républicaines des États et la crainte d’une insurrection immédiate les empêchent de

prendre des mesures pour éviter le danger. Quoi qu’ils fassent, ils ne sauraient trop

redouter l’avenir car, dans les États esclavagistes, six millions de Blancs, loin d’avoir

aucun intérêt à maintenir l’esclavage, ont leur politique toute tracée dans le sens contraire.

Sous peine de devenir esclaves eux-mêmes, il faut qu’ils résistent aux empiètements des

350 000 propriétaires féodaux, ou bien ils doivent abandonner leur patrie. N’osant

résister, nombre d’entre eux préfèrent s’exiler. Le recensement de 1850 a montré que

609 371 Sudistes étaient venu s’établir dans le Nord, tandis que seulement 206 638

personnes nées dans les États libres avaient émigré dans le Sud. Eu égard à la différence

des populations respectives, c'est dire que la terre d’esclavage repousse hors de son sein

six fois plus de Blancs qu’elle n’en attire. Les planteurs font le vide autour d’eux, tandis

que la liberté entraîne dans son tourbillon tous les hommes de travail et d’intelligence.

On se demande si la scission depuis si longtemps annoncée par les esclavagistes et

faite en partie par la Caroline du Sud sera définitive, ou bien si tout se bornera de la part

des esclavagistes à de vaines rodomontades ? Nous doutons fort qu’une scission politique

sérieuse puisse avoir lieu, car les États esclavagistes, auxquels ne s’allieraient en aucun

cas les États du centre. Quant au Kentucky, au Maryland et à la Virginie, ils sont trop

faibles et trop pauvres pour se passer de leurs voisins du Nord. Quand bien même ils

capables d’improviser un budget, une armée forte et disciplinée, une flotte commerciale

et une marine de guerre, sauraient-ils se donner l’industrie qui leur fait défaut ? Seraientils

capables de produire les innombrables ressources qu’ils doivent aujourd’hui à l’esprit

ingénieux des Yankees ? Sauraient-ils même se nourrir sans les farines, le maïs, la viande

que leur expédient les villes du Nord ? Une scission politique et commerciale absolue,

celle que les Sud-Caroliniens font semblant de proclamer, serait immédiatement suivie

d’une effroyable famine.

Mais que la séparation entre les deux groupes d’États soit ou ne soit pas officiellement

proclamée dans un avenir rapproché, on peut dire qu’elle existe déjà. Les deux fractions

adverses n’ont plus rien de commun, si ce n’est le souvenir des guerres glorieuses de

l’indépendance, les noms immortels de Washington et de Jefferson, et l’orgueilleuse

satisfaction de porter le nom d’Américains. L’opposition des intérêts les sépare, les défis

se croisent sans cesse au-dessus des eaux de l’Ohio et du Missouri. Des bandes, armées

par chaque Parti politique, ont fait du Kansas un champ de bataille. Le sang coule dans

les plantations du Texas. Cent mille hommes de couleur, chassés de leur patrie, prennent

le chemin de l’exil. Des boucaniers organisent la chasse au Nègre et même au Blanc, et

plus d’une fois des enfants de race anglo-saxonne ont été vendus sur les marchés du Sud.

Les faits de meurtre, de vol, de rapine, se succèdent sans interruption, et l’esprit public

est toujours tenu en haleine par quelque horrible aventure. Telle est la paix qui règne entre

les gens du Nord et ceux du Sud. Peu soucieuses de leur dignité, les législatures s’envoient

défi sur défi. Le gouvernement de la Géorgie propose de considérer comme nulles les

dettes que leurs habitants ont contractées envers des citoyens d’un État non-esclavagiste

où des abolitionnistes se seraient rendus coupables d’une abduction d’esclave. La

législature de la Louisiane vote ironiquement la déportation, dans le Massachusetts, de

tous les Nègres convaincus de meurtre. Pendant le procès de John Brown, de nombreux

esclavagistes réclament la faveur de lui servir de bourreau, et divers États esclavagistes

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