UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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Dans les derniers temps, ces scènes d’épouvante se renouvellent fréquemment dans le
Sud, et la terrible Loi de Lynch 2 menace de remplacer toutes les autres. Le texte de la loi
ordinaire condamne à mort les Noirs qui frappent et blessent leur maître, sa famille ou
l’économe blanc qui le dirige, qui mutilent ou qui agressent un Blanc pour la troisième
fois, qui poignardent ou tirent un coup de fusil sur un Blanc avec intention de tuer. Sont
aussi passibles de la peine capitale les esclaves accusés d’être des empoisonneurs, des
incendiaires, des voleurs et des rebelles. Ceux qui sont également passibles du fouet sont
qui se promènent sans permis, qui montent à cheval sans autorisation spéciale, qui ne
travaillent pas au gré de l’économe et tous qui, pour une cause ou pour une autre, ont le
tort de déplaire à leur maître.
L’esclave doit toujours, sans exception, exécuter les ordres du Blanc, et pourtant s’il
obéit à la parole de son maître qui lui ordonne d’incendier le gerbier ou de détruire la
maison d’un planteur rival, il sera fouetté ou souffrira toute autre punition corporelle.
Quant au maître il sera condamné seulement à payer des dommages-intérêts. Ainsi
l’esclave est également coupable dans les deux cas, qu’il obéisse ou qu’il se permette de
désobéir. L’instrument est toujours puni, qu’il soit rebelle ou docile. Quand un esclave a
été condamné à une punition quelconque, il ne peut être mis en liberté avant que son
maître n’ait payé les frais de poursuite. Si le propriétaire se refuse à payer, son esclave
reste indéfiniment prisonnier, coupable de l’insolvabilité du planteur. Tous les jugements
portés contre les gens de couleur sont rendus par des tribunaux qui se composent, selon
les États, de trois, six ou neuf propriétaires d’esclaves, présidés par un juge de paix et
choisis dans la localité même où le crime vrai ou prétendu a été commis. Des accusés sont
donc livrés à la merci de la haine et de la vengeance. Afin de compléter cet aperçu des
dispositions du code pénal, ajoutons que, d’après le texte de la loi, le Blanc meurtrier d’un
Nègre encourt la peine capitale, mais on comprend que les circonstances atténuantes ne
manquent pas pour amoindrir le crime du planteur, accusé et jugé par ses pairs dans une
cause qui est en même temps la leur. D’ailleurs cette loi, véritable réclame à l’adresse des
abolitionnistes nordistes, se hâte d’ajouter que le Blanc coupable seulement d’avoir
assassiné un Nègre dans un mouvement de colère est passible d’une amende maximale
de 500 dollars et d’un emprisonnement n’excédant pas six mois. Quoiqu’il n’ait jamais
été exécuté, cet article du code a soulevé bien des récriminations parmi les Sudistes, et
nombre de jurisconsultes locaux se demandent si le meurtre d’un Nègre peut être vraiment
considéré comme un meurtre.
Dans les États du Sud où les prétendus Nègres libres n’ont pas été déjà frappés d’un
décret de proscription en masse, les affranchis, n’étant protégés par aucun propriétaire,
ont encore bien plus que les esclaves à redouter la terrible action des lois qui pèsent sur
eux. Ils sont censés libres, mais ils n’ont pas les privilèges des Blancs qui le sont vraiment.
En effet, ils ne peuvent pas voter dans les comices ni s’occuper aucunement des intérêts
politiques ou sociaux de la République américaine. Ils ne siègent pas comme jurés dans
les tribunaux, ils ne peuvent pas servir de témoins, si ce n’est contre des esclaves ou des
hommes de leur caste. Selon la Negro-Law (pp. 13 et suivantes) de la Caroline du Sud,
ils ne sont pas soumis à l’obligation de prêter serment, car cette démarche aurait été trop
noble pour être souillée en passant par leurs lèvres. Partout dans le Sud, il est évidemment
défendu à tous les Africains de porter des armes sous peine du fouet. D’après le texte de
la loi, ils ne peuvent même se couvrir que de vêtements d’étoffes grossières et, comme
des galériens, doivent ainsi se signaler de loin par leur costume. On s’occupe aujourd’hui
2
Charles Lynch (1736-1796), juge de paix en Virginie, instaurateur des procès expéditifs. Vers 1837, la Loi de Lynch, qui désigne
le mot lynchage, désigne l’exécution (généralement par pendaison) d’une personne (homme ou femme) accusée d’un crime ou d’un
vol grave. Après la guerre de Sécession, les Sudistes vaincus et les tueurs du Ku-Klux-Klan recourent fréquemment au lynchage pour
punir les anciens esclaves et les Afro-Américains qui, jusqu’en 1965, prétendent bénéficier des droits civiques qui leur ont été accordés
par le Parti républicain. Entre 1877 et 1951, plus 1 200 Afro-Américains ont été lynchés dans les anciens États confédérés.