UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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Les brigades abolitionnistes qui avaient lutté avec tant d’énergie pour la délivrance du
Missouri auraient continué la guerre en Arkansas sans consulter personne si l’armée
fédérale n’avait pas commencé à prendre sa part dans l’œuvre d’émancipation et n’avait
ainsi ôté toute raison d’être à l’action des partisans du Kansas. Éclairés par le spectacle
des plantations et des marchés d’esclaves, les soldats de l’Union comprirent que le seul
moyen de pénétrer dans le Sud était de corroder la cause de la guerre : l’esclavage.
Ils se demandaient s’il n’était pas absurde de batailler et de risquer la mort pour que les
planteurs, ramenés de force dans l’Union, puissent encore asservir en paix leurs
semblables. Ils ne voulaient plus reconnaître, aux aristocrates du Sud féodal, le droit de
commenter la Constitution qu’ils avaient déchirée. Les paroles du général Frémont, qu’on
avait d’abord accueillies avec tant de stupeur, étaient maintenant celles de presque toute
l’armée. Entraînés par la logique des faits, le Congrès et le président Lincoln accentuaient
de plus en plus leur politique dans le sens de la liberté des Noirs. Quelques semaines avant
la proclamation du général Frémont, le gouvernement fédéral s’était déjà laissé engager
dans cette voie, qu’il devait plus tard suivre jusqu’au bout. Des centaines, puis des milliers
d’esclaves échappés au travail forcé des plantations de la Virginie, s’étaient hasardés dans
l’enceinte de la forteresse Monroe, à l’entrée de la baie de Chesapeake, et suppliaient le
commandant de la place de leur accorder aide et protection. Mais derrière ces esclaves,
venaient des planteurs virginiens qui se présentaient pour réclamer leur bétail humain.
Le général Butler reconnut que les réfugiés noirs étaient bien des propriétés privées.
Toutefois il affirmait en même temps que ces hommes, qui avaient ou pouvaient aidé les
rebelles à bâtir des fortifications, constituaient en réalité une contrebande de guerre. En
conséquence, refusant de livrer les Noirs, il les déclara de bonne prise comme de
véritables articles de contrebande de guerre. Le secrétaire (ministre) de la guerre approuva
la conduite du Général, mais en lui ordonnant de tenir un compte exact des articles
confisqués, afin de pouvoir indemniser plus tard ceux des propriétaires qui seraient restés
fidèles à l’Union. C’était un accommodement entre la loi et l’équité. Par une fiction
constitutionnelle, les Nègres, encore esclaves devenaient néanmoins des hommes libres.
Parmi les fugitifs, les uns furent immédiatement employés aux travaux du port,
moyennant salaire, les autres furent chargés de construire un chemin de fer circulaire
autour de la forteresse Monroe. Enfin la plupart d’entre eux s’engagèrent comme marins
à bord des navires de guerre de la marine fédérale, et dès le premier mois touchèrent une
paie mensuelle de huit dollars, non compris les rations. Dans la marine américaine, une
véritable égalité règne, parmi les matelots, entre les Blancs et les hommes de couleur. Ils
travaillent, mangent et s’amusent ensemble sans faire attention à la différence des races.
En décembre 1861, lors de la session du Congrès fédéral, on put mesurer le chemin
parcouru depuis la reddition du fort Sumter. Dans son message aux deux chambres,
Lincoln fit une proposition qui, deux ans plus tôt, aurait été repoussée avec horreur. En
substance, il demanda à la nation américaine d’entrer en relations d’amitié avec les
dirigeants des républiques africaines du Libéria et de Haïti, et de s’y faire représenter sur
place par des chargés d’affaires. En termes indirects, le président américain reconnaissait
implicitement que les esclaves confisqués dans les États rebelles étaient vraiment libérés.
Et, afin d’encourager les États du centre à émanciper leurs esclaves, il proposa au Congrès
d’acquérir un nouveau territoire pour y établir les Africains. Plus hardies que le Président,
les Chambres fédérales passèrent la plus grande partie de leur session à discuter et à voter
des lois qui, tout en restant dans les limites de la Constitution, affaiblissaient de plus en
plus le principe de l’esclavage notamment en interdisant aux officiers fédéraux de
poursuivre les fugitifs noirs, en ordonnant aux magistrats de ne jamais rendre des esclaves
sans avoir vérifié la fidélité de leur maître à l’Union, et elles furent sur le point d’adopter
une loi qui aurait émancipé purement et simplement les esclaves des Rebelles.