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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Anglo-Américains. En développant leurs ressources intellectuelles et en fortifiant leur

caractère, la fusion des Créoles noirs et américains eut pour résultat de leur faire chérir la

liberté d’un amour plus vif et plus raisonné. À ce grand privilège que le croisement des

races et des familles assure aux esclaves louisianais, il faut ajouter encore d’autres

avantages : la proximité d’une cité puissante où se trouvent un grand nombre d’hommes

de couleur, propriétaires et libres, les visites d’étrangers du nord et de l’Europe dissertant

plus ou moins ouvertement sur l’esclavage en dépit de la sévérité des lois, enfin la

présence de plusieurs Nègres de Saint-Domingue racontant à leur manière la légende des

anciennes guerres. Quand les canonnières fédérales de David Farragut passèrent

victorieusement sous les forts confédérés du Mississippi, la population asservie de la

Louisiane inférieure s’était depuis longtemps préparée à un changement très profond car

les esclaves prêtaient l’oreille au bruit du canon avec autant d’anxiété que les planteurs.

Déjà plusieurs mois avant la prise de La Nouvelle-

Orléans, le général John W. Phelps, commandant les

troupes unionistes stationnées à l’île aux Vaisseaux (Ship

Island), avait adressé aux planteurs louisianais une

proclamation où la nécessité de l’affranchissement était

nettement indiquée. Cet appel fut accueilli par le mépris et

la colère des propriétaires, mais il réveilla de tout autres

sentimens dans les cases des Nègres, où l’apportèrent les

fils mystérieux de ce télégraphe souterrain qui met en

communication tous les camps d’esclaves. Dans sa

proclamation Phelps affirmait : désormais les États à

esclaves étaient moralement tenus d’abolir la servitude.

Général John W. Phelps

(National Archives)

Il prouvait ainsi que l’existence de deux sociétés dans un même État, l’une libre et

l’autre esclave, devenait à la longue absolument impossible. Il se demandait même s’il ne

serait pas convenable d’extirper violemment l’esclavage par une révolution (revolutionize

slavery out of existence) et terminait ainsi :

« Le travail manuel est noble dans sa nature et ne peut être systématiquement avili par

aucune nation sans que la paix publique, le bien-être général et la force collective du peuple

ne diminuent en même temps. Le travail libre est la base de granit sur laquelle doivent

reposer les libres institutions. Aussi notre mot d’ordre sera partout et toujours : le travail

libre et les droits de l’ouvrier. »

On comprend l’effet que de semblables paroles durent produire au milieu d’une société

qui repose au contraire sur le bloc de marbre noir et professe que le capital doit posséder

son travail, c’est-à-dire les travailleurs eux-mêmes. Jusque dans les États du Nord, la

proclamation de Phelps causa un grand scandale. Entré en vainqueur à La Nouvelle-

Orléans, le général Butler devait réaliser en grande partie l’œuvre d’émancipation que

son prédécesseur avait annoncée aux Louisianais comme inévitable. Déjà la société tout

entière était en voie de désorganisation : l’esclavage ne se maintenait plus que par la force

de l’habitude et, loin d’enrichir les maîtres, ne servait plus qu’à hâter leur ruine. On sait

que les planteurs, endettés avant la guerre de plus d’un milliard envers les négociants du

Nord, avaient trouvé plaisant d’annihiler cette lourde dette par un solennel décret ; mais

cette manière expéditive de solder les comptes arriérés n’empêcha pas la guerre civile de

produire immédiatement les conséquences les plus désastreuses dans toutes les

plantations du Sud. Le coton que, sur les places européennes, on aurait payé au poids de

l’or, ne valait plus même, dans les États confédérés, les frais d’expédition jusqu’au port

d’embarquement.

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