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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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l’esclavage une nouvelle union sur les ruines de l’ancienne. Protégés par le Roi Coton et

convaincus de sa toute-puissance, ils comptaient sur la complicité de la France et de

l’Angleterre dans leur œuvre de reconstruction. Quant au peuple américain, ils espéraient

le capter par les moyens qui leur avaient si souvent réussi dans le Congrès. Aux États du

centre, ils vantaient les bénéfices que procure la fourniture des Nègres destinés aux

marchés du Sud tandis qu’aux États de l’Ouest, ils promettaient les avantages du libreéchange

tout en suscitant l’appât du lucre en Pennsylvanie et à New-York.

Les six petits États de la Nouvelle-Angleterre devaient être les seuls à être exclus,

comme indignes, de la Confédération esclavagiste. C’est que les partisans zélés de

l’émancipation, qui se trouvent principalement dans ces États, s’appuient, eux aussi, sur

un principe, la liberté, et n’ont jamais eu l’idée chimérique d’opérer un compromis avec

les planteurs. Rendus clairvoyants par l’habitude de la pensée, ces hommes, auxquels on

refusait tout sens pratique, sont les seuls parmi les gens du Nord qui n’ont pas été pris au

dépourvu et ne se sont pas trompés sur le résultat final de la séparation. À la nouvelle du

bombardement et de la reddition du fort Sumter, l’émotion fut indicible dans toutes les

villes du Nord, et des comités de défense s’organisèrent spontanément sur tous les points

menacés. Et pendant que la population tout entière était en proie à un délire patriotique,

pendant que deux cent mille volontaires couraient aux armes, la société des

abolitionnistes de Boston se réunissait tranquillement pour tenir sa dernière séance :

« Durant ces trente dernières années, nous avons travaillé, nous avons combattu,

nous avons souffert avec joie. Maintenant, laissons aux événements le soin de continuer

notre œuvre ! Nos prédictions s’accomplissent : nous n’avons plus qu’à voir défiler

devant nous les jours de bataille portant avec eux la liberté ! »

En effet, le premier jour de la rébellion peut être également considéré par les Nègres

d’Amérique comme le premier de leur Hégire. Les coups de canon tirés par les

esclavagistes Caroliniens contre Fort Sumter ont été le vrai signal de l’émancipation des

esclaves, et ce sont les maîtres eux-mêmes qu’une singulière ironie du destin a chargés

d’être les libérateurs ! Rigide interprète de la légalité, le président Lincoln arrivait au

pouvoir avec un sentiment profond de son immense responsabilité et la ferme intention

de remplir strictement le mandat qu’il avait reçu de ses concitoyens. Ce mandat était de

rétablir purement et simplement la Constitution tout entière, même avec les garanties

qu’elle offre aux propriétaires d’esclaves, il devait ramener dans l’Union les États

rebelles, et leur imposer le respect des lois en les respectant lui-même et en faisait

exécuter celles que le Congrès avait votées contre les fugitifs africains. D’ailleurs, s’il

avait eu la volonté d’agir, non pas en magistrat dument nommé, mais en chef

révolutionnaire, il ne serait probablement jamais entré à la Maison-Blanche. Nommé par

les deux cinquièmes des électeurs, il aurait bientôt vu cette minorité se tourner contre lui

et faire cause commune avec la majorité démocratique, dont les voix s’étaient dispersées

sur d’autres candidats : (Lincoln reçut 180 votes électoraux contre 121 donnés à Douglas,

Bell et Breckinridge, mais les voix se décomposaient ainsi : 1 857 610 pour Lincoln et

2 801 559 pour ses trois concurrents).

Aussi, quelles que fussent ses opinions particulières sur l’esclavage, Lincoln se garda

bien de les manifester. En sa qualité d’homme politique, il avait toujours affirmé que

l’extradition des esclaves fugitifs était un devoir civique. Devenu candidat à la présidence,

il ne cessa de professer la même opinion qui du reste était conforme à celle de presque

tous les membres de son Parti. Enfin, nommé président, il ne négligea aucune occasion

de rassurer les Sudistes et de témoigner en faveur de leurs droits constitutionnels. Dans

son message inaugural, il déclara ne vouloir en aucune manière attenter à l’institution

patriarcale, il accepta la doctrine antique en vertu de laquelle l’esclave qui s’enfuit dérobe

son propre corps et il reconnut le droit absolu du maître de récupérer sa propriété vivante.

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