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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Dans l’île des Dames (Ladies’ Island), que les troupes fédérales n’occupaient pas

encore, mais que celles des Confédérés avaient évacuée depuis peu, ces Noirs s’armèrent

et firent bonne garde en empêchant le retour des forces rebelles. Dans l’île de North

Edisto, également sur la côte de la Caroline du Nord, d’autres esclaves repoussèrent une

compagnie de cavalerie ennemie, composée de planteurs recrutés dans la région. Ne

pouvant restituer des esclaves que personne ne lui réclamait, le général Sherman dut

s’occuper de leur sort. Au lieu de suivre à leur égard une politique franche et de leur

déclarer que, devenus désormais des hommes libres, ils jouissaient de nouveaux droits et

contractaient de nouveaux devoirs, il préféra garder sur cette question une réserve

diplomatique. Peut-être aussi attendait-il ses inspirations des événements. Tous les

Nègres qui se présentèrent devant les officiers fédéraux furent engagés, les uns en qualité

de domestiques, les autres comme portefaix ou arrimeurs. En échange de leur travail, ils

recevaient un salaire mensuel de 10 dollars (8 dollars en marchandises et 2 dollars en

argent). Il est fâcheux d’avoir à constater que ces premiers engagements ne furent pas

toujours tenus avec une scrupuleuse exactitude. Des fournisseurs sordides, chargés de

livrer les marchandises aux Nègres, leur donnaient le plus souvent des objets avariés et

cotés à un taux exorbitant. En outre, des maraudeurs, comme il s’en trouve à la suite de

toutes les armées, volaient parfois aux esclaves le produit de leurs peines. Quant à ceux

qui n’abandonnaient pas les plantations et continuaient les travaux des champs, ils

devaient recevoir en guise de salaire la centième partie du coton qu’ils recueillaient. Il

s’agissait des 3 000 balles de la récolte, évaluées à environ 40 000 dollars (soit quatre

million de francs français en 1862 ?) qu’il aurait fallu de répartir entre des milliers de

Noirs. C’était bien peu et cette faible somme ne fut jamais payée.

Malgré ces déboires, malgré l’incertitude qui enveloppait encore leur destinée, malgré

les brutalités de quelques soldats fédéraux envers les femmes de couleur, les Nègres

passèrent dans la joie leurs premiers mois de liberté relative. Leur bonheur fut plus grand

qu’ils n’avaient osé l’espérer lorsque des fonctionnaires fédéraux les autorisèrent à

augmenter les dimensions des petits champs où ils cultivaient pour leur propre compte.

Alors, ils se mirent à reconstituaient librement les membres de leurs familles, qui avaient

été dispersés ou vendus, et ne craignirent plus de visiter leurs amis. Enfin, ils n’avaient

plus à redouter le terrible fouet du commandeur. Chaque soir, ils allumaient de grands

feux sur le rivage et passaient une partie de la nuit à danser, à chanter, à pousser des cris

d’allégresse, à répéter leurs prières jusqu’à tomber en extase. Avertis par tout ce tumulte

de joie, les esclaves des plantations riveraines trompaient la surveillance de leurs maîtres

et s’échappaient pour avoir, eux aussi, leur part de liberté. Se cachant de jour dans les

marécages, souvent dépourvus de nourriture, voguant de nuit dans les bayous, exposés au

froid de la saison, ils menaient leur fuite à bonne fin avec cette prudence, ce courage

passif qui caractérisent les races opprimées. Il ne se passait pas une journée que de

nouveaux fugitifs n’arrivassent dans le camp fédéral, soit isolés, soit par bandes plus ou

moins nombreuses. L’augmentation rapide de la population africaine de Port-Royal

ajoutait au problème d’approvisionnement et les remontrances de la presse abolitionniste,

firent enfin comprendre au gouvernement américain qu’il fallait sans retard s’occuper de

l’instruction des Nègres. Salmon P. Chase, le secrétaire fédéral (ministre) des Finances,

envoya sur place un certain Edward L. Pierce, un personnage qu’il avait précédemment

chargé d’embrigader les Africains qui s’étaient réfugiés sous les canons du Fort Monroe.

Après avoir constaté de visu la condition des Noirs et des plantations de Port-Royal,

Pierce, expédia son rapport au ministre Chase et se rendit à Boston où il exposa

directement au public la situation des affaires et sollicita le personnel et les fonds

indispensables à la réussite de son entreprise. En même temps, d’autres amis des Africains

libérés se mobilisaient aussi à New-York et à Philadelphie. Des sociétés s’organisèrent,

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