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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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s’enfuient par milliers pour gagner la terre libre, elle contribue aussi à la transformation

graduelle de l’esclavage dans les districts les plus reculés de la Confédération.

D’ailleurs les témoignages presque unanimes des Nègres fugitifs semblent mettre hors

de doute que, déjà bien avant la proclamation du président Lincoln, l’esclavage s’était

adouci. Il est vrai qu’en certains endroits du Sud, habités par une population presque

barbare, les passions excitées jusqu’au délire ont porté les Blancs à commettre des actes

d’une atrocité révoltante. C’est ainsi qu’en Mississippi, au Texas et en Arkansas, on a

massacré de sang-froid ou même livré aux flammes les esclaves dont on se défiait.

Cependant, la gravité de la situation a fait comprendre aux propriétaires intelligents que,

tout en redoublant de surveillance, ils devaient aussi ménager leurs Noirs et les traiter

avec assez de douceur pour éloigner de leur esprit la pensée de l’insubordination. Cette

douceur est surtout commandée sur les plantations isolées, où une seule famille blanche,

décimée par la guerre, est environnée par des centaines de Nègres, pacifiques il est vrai,

mais tous avides de liberté.

Là des maîtres descendent jusqu’à flatter leurs esclaves pour les persuader que leur

servitude est douce, et, cessant de donner simplement des ordres comme autrefois, ils

daignent maintenant présenter leurs raisons. Il en est même des maîtres qui consentent à

octroyer un salaire à leurs Noirs, et violent ainsi formellement le principe et les traditions

de l’esclavage. Toutefois, ce qui contribue le plus activement à diminuer le pouvoir de

l’aristocratie féodale, et par suite à rendre moins dure la servitude des Noirs, c’est

l’accroissement de l’influence accordé aux prolétaires blancs depuis la guerre. Beaucoup

plus nombreux que les planteurs, ces Pauvres Blancs, ces parias méprisés peuvent se

compter sur les champs de bataille. Dès lors, comprenant désormais leur importance dans

l’État, ils ne se laissent plus traiter en simples vassaux. Par exemple, dans la convention

souveraine de la Caroline du Nord, ils se sont coalisés pour imposer aux propriétaires une

taxe annuelle de cinq à vingt dollars par esclave. C’est là un coup sensible porté à

l’institution servile mais, si les planteurs ne se sont pas fait faute de crier au sacrilège, ils

cédèrent par crainte de voir les Petits Blancs se déclarer en faveur de l’Union.

Si l’esclavage est sérieusement menacé dans le Sud, non seulement par les armées

unionistes, mais aussi par l’ambition naissante des pauvres de race blanche et par

l’impatience fiévreuse des Nègres, on peut donc dire qu’il a déjà cessé d’exister dans

plusieurs États du centre. Assez logiques pour comprendre qu’ils ont autant de droits à la

liberté que leurs frères sudistes, et ne partageant en aucune manière l’opinion du président

Lincoln sur les avantages d’un affranchissement graduel, les Noirs du Maryland, du

Missouri et des autres États de la même zone se considèrent dès ce moment comme libres.

Ils se refuseront à patienter jusqu’en 1900 et saisiront toutes les occasions de se soustraire

à la servitude, eux et leurs familles. Quelques-uns même profitent de la proximité des

États libres et du passage continuel des troupes unionistes pour s’enfuir vers le Nord.

D’autres, qui ont eu la chance de naître au sud du fleuve Potomac ou de celui du

Tennessee, font proclamer leur liberté par les tribunaux locaux. D’autres encore refusent

tout simplement de travailler, si le propriétaire ne leur donne pas un salaire en échange.

Aussi les Nègres, qui coûtaient en moyenne mille dollars, il y a deux ans à peine, n’ontils

plus aujourd’hui dans les États du centre qu’une valeur nominale, et quand on les

achète au prix minime de dix ou même de cinq dollars par tête, on acquiert, non leurs

personnes, mais le vague espoir de les réduire à nouveau en servitude. Récemment un

groupe de cent trente esclaves, ayant appartenu à un planteur du Maryland, un certain

Charles Carroll, était évalué par des marchands de Nègres et d’autres de leurs confrères

à 650 dollars seulement, soit à cinq dollars par tête. La veille encore, le testateur

recommandait à ses héritiers de maintenir l’esclavage sur sa plantation, dans l’intérêt des

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