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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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les grosses filatures britanniques et française pour la fabrication de leurs plus délicates

étoffes. Grâce à l’exportation de cette précieuse denrée et au riz qu’ils faisaient pousser

en abondance, les propriétaires de l’archipel étaient devenus les plus riches de la Caroline

du Sud. L’affluence des étrangers qui, pendant la belle saison, venaient respirer la brise

de la mer, contribuait encore à grossir leur fortune. Aussi presque tous les planteurs

possédaient des centaines de Nègres assignés aux tâches domestiques et aux travaux des

champs. Sur les 40 000 habitants du comté, 33 000 étaient esclaves.

Les planteurs de l’archipel de Port-Royal firent preuve d’une complète unanimité dans

leurs sentimens de haine envers les gens du Nord et d’un dévouement absolu à la cause

qu’ils avaient embrassée. Appartenant à une caste de grands seigneurs qui se targuent

d’une noble origine et qui méprisent souverainement les classes ouvrières et mercantiles

de la Nouvelle-Angleterre, les habitants de Beaufort ne voulurent pas même se trouver en

contact avec leurs vainqueurs et s’empressèrent de quitter l’archipel, accompagnés de

leurs familles et de leur suite de Petits Blancs. En cette occasion, ils donnèrent un exemple

qui a été peu suivi dans les États esclavagistes conquis par les Fédéraux : ils mirent le feu

à leur coton, détruisirent tout ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, commencèrent euxmêmes

à saccager leurs demeures, et s’ils laissèrent sur pied les récoltes de coton déjà

presque mûres, ce fut uniquement parce qu’ils n’eurent pas le temps de les ravager.

Toutefois il leur restait leur fortune vivante consistant en mulets, en bestiaux et surtout

en esclave. Avant l’arrivée de la flotte fédérale, des planteurs avaient déjà expédié sur le

continent une partie de leurs Nègres, d’autres en avaient prêté au gouvernement de l’État

pour la construction des remparts de Charleston. Mais la majorité des esclaves se

trouvaient encore dans l’archipel lorsque les forts de Port-Royal tombèrent entre les mains

des Yankees. Aussitôt les planteurs songèrent à la retraite. Choisissant d’abord leurs

esclaves les plus robustes et les plus adroits, ceux dont les bras ou l’intelligence

représentaient le plus fort capital, ils les poussèrent devant eux.

Plus d’une fois, si l’on en croit le témoignage unanime des Noirs, ils firent usage de

leurs carabines pour abattre les malheureux qui tâchaient de s’enfuir. Quoi qu’il en soit,

l’approche des troupes fédérales ne permit pas aux sécessionnistes d’emmener tous leurs

esclaves. La plupart des domestiques vieux ou infirmes et les enfants en bas âge, qui

n’avaient qu’une faible valeur monétaire furent abandonnés dans les cases. Parmi les

esclaves des champs, un grand nombre trouvèrent le moyen de se cacher et ne se

montrèrent qu’après le départ de leurs maîtres car ils leur racontaient que le seul but des

féroces Yankees était de les vendre à des planteurs cubains. Dans leur incertitude, les

malheureux préféraient rester sur les plantations, attendant leur destinée dans le voisinage

des cases qui constituaient leur unique foyer. Ils avaient au moins cette triste consolation,

que dans aucun cas les nouveaux venus ne leur imposeraient une condition plus dure que

celle de leur précédent esclavage. On évalue à quelque huit mille le nombre des Noirs qui

restèrent à Beaufort après la fuite de leurs propriétaires. Après avoir pris possession des

forts, William T. Sherman qui, à ce moment-là, commande les forces de l’Union en

Caroline du Sud, émit une proclamation destinée aux Blancs de cet État. Dans ce

manifeste, conçu dans des termes très modérés, il adopta un raisonnement purement

constitutionnel qui l’obligeait encore à ne pas nier la légalité de l’esclavage. Il déclara

donc qu’il ne voulait en aucune manière léser les droits et les privilèges des citoyens ou

de s’immiscer dans leurs institutions locales et sociales, et protesta de son dévouement

respectueux envers le grand État souverain de la Caroline du Sud. Néanmoins, Sherman

affirma aussi que le devoir constitutionnel de sauvegarder l’Union primait tous les autres,

et que le maintien des lois spéciales de l’État devait être subordonné aux nécessités

militaires créées par l’insurrection. En dépit de cette affirmation menaçante, il n’en reste

pas moins qu’il se croyait encore tenu de respecter la loi sur les esclaves fugitifs.

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