UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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Preston Brooks, député du Parti démocrate de la Caroline du Sud - Caricature du dessinateur John L. Magee pour
le New York Tribune du 24 mai 1856 - Sénateur Charles Sumner (National Archives).
L’héroïque quaker Thomas Garrett consacre sa vie à secourir et à plus de deux mille
esclaves tandis que John Brown et ses compagnons luttent et meurent noblement. Une
femme aussi, M me Beecher Stowe, a intéressé le monde entier à la cause du Nègre
opprimé en faisant pleurer d’innombrables lecteurs et en rangeant parmi les
abolitionnistes tous les cœurs accessibles à la pitié. Que dire aussi de tant d’autres héros
inconnus, qui, au mépris des lois iniques de leur patrie, ont délivré des esclaves, les ont
aidés dans leur fuite vers le Canada, les ont défendus au péril de leur vie, et ceux que les
planteurs ont pendus à une branche sans autre forme de procès ? Le nombre de ces
hommes de cœur a, nous le croyons, beaucoup augmenté dans ces dernières années, mais
il n’est pas encore assez considérable pour constituer un Parti politique, et ceux qui
entreprennent la croisade électorale contre l’esclavage, ceux qui nomment la majorité des
membres du Congrès et tiennent aujourd’hui le sort de la République entre leurs mains,
sont animés en général par des mobiles tout autres que le dévouement et la justice. Ils ont
en vue leurs intérêts matériels, et non le bonheur des Nègres.
Dans leurs Philippiques 8 contre les gens du Sud, ceux du Nord ne sont pas avares des
mots de justice et de liberté, mais on ne s’aperçoit point que, dans leurs propres États, ils
s’efforcent d’élever les Nègres à leur niveau. Des prédicateurs de la Nouvelle-Angleterre
tonnent du haut de leurs chaires contre le péché de l’esclavage, des poètes marquent dans
leurs vers brûlants les ignobles marchands d’esclaves, des comités de dames se réunissent
pour lire des brochures abolitionnistes, des ouvriers s’assemblent en tumulte pour
arracher un esclave fugitif des mains de ses persécuteurs. Mais ces défenseurs si zélés
pour la cause de leurs frères asservis dans les plantations lointaines ne se souviennent pas
qu’ils ont près d’eux des frères noirs qu’ils pourraient aider et aimer : ils ne peuvent chérir
les Nègres qui n’habitent pas au sud du 36 e degré de latitude.
On l’a vu récemment dans le Territoire et futur État du Kansas, lors de la guerre entre
les planteurs du Missouri et les colons venus du Nord, principalement du New-York et
du Massachusetts. Dans ce nouveau territoire, les hommes de liberté et les hommes
d’autorité s’étaient donné rendez-vous en champ clos. L’avenir était aux prises avec le
passé : une république démocratique opposée à la féodalité esclavagiste. Qu’espérait-on
de cette lutte suprême entre les deux principes, de ce choc entre le bien et le mal ! Enfin
les abolitionnistes triomphants allaient travailler au bonheur de la race nègre si longtemps
sacrifiée, ils allaient fonder un État où la liberté ne serait pas un vain mot, où la justice
serait la même pour tous les hommes de toutes les races, où le soleil luirait également
pour tous ! La fusion allait s’opérer entre les Noirs et les Blancs car un refuge s’ouvrait à
tous les fugitifs et la liberté conviait tous les esclaves à un banquet fraternel. C'était
l’attente universelle, et les hommes de progrès tressaillaient d’aise en pensant à la victoire
prochaine des abolitionnistes de Lawrence et de Topeka. Cependant, qu’ont-ils fait ?
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Étant un lettré familier avec l’histoire et la littérature, Reclus se réfère aux Philippiques, l’ensemble des quatorze discours
prononcés par Cicéron contre le consul Marc Antoine, à l’époque de sa liaison avec Cléopâtre.