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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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effrayantes de salut public afin d’exterminer le crime irrémissible de la liberté. Le mal

s’aggrave nécessairement par le mal : chaque crime commis pat un Blanc contre un

Africain ne peut être pallié que par un autre crime. Dans la langue humaine, il n’existe

aucun mot de mots pour exprimer l’atrocité des nouveaux décrets portés contre les Nègres

libres. D’atroces mesures que des énergumènes seuls osaient proposer il y a quelques

années sont maintenant votées avec un formidable ensemble par la caste entière des

planteurs : exil, esclavage et mort sont les seuls mots qu’on prononce aujourd’hui dans

ces terribles assemblées législatives.

Laissons parler le texte même des décrets dans leur hideuse éloquence.

Dans le courant de l’année 1859, la législature de l’Arkansas a voté une loi bannissant

tous les Nègres libres de son territoire. Tous les proscrits qui n’avaient pu se résoudre à

quitter leurs foyers avant le 1 er janvier 1860 ont été mis aux enchères et vendus comme

esclaves. Les deux Chambres de la législature du Missouri ont adopté une loi de même

nature, condamnant à la servitude tous les Nègres libres trouvés sur le territoire de l’État

à partir du 1 er septembre 1861. En outre, tout Nègre libre venu d’un autre État, qui

s’introduira en Missouri et y séjournera plus de douze heures sera immédiatement vendu

comme esclave. La Chambre de la Louisiane a voté une loi semblable. Les planteurs du

Mississippi, beaucoup plus pressés que ceux de la Louisiane et du Missouri, n’ont donné

aux Nègres libres que six mois de répit, du 1 er janvier au 1 er juillet 1860 mais, se souvenant

à temps de leurs devoirs de républicains, ils ont décidé que le produit de la vente des

hommes libres serait employé à fonder des écoles pour les enfants blancs mais pauvres.

Les législateurs de la Géorgie se sont hypocritement contentés de condamner tous les

Nègres libres convaincus de paresse ou d’immoralité à un an d’esclavage, et, en cas de

récidive, à la servitude pour la vie. Ils ont en outre décidé que, pour un délit vrai ou

prétendu, les affranchis condamnés à payer une amende qu’ils ne pourraient acquitter

seraient vendus aux enchères pour le compte du Trésor. Les Chambres législatives

d’autres États ont eu également à délibérer sur des projets de loi de cette nature, et tout

fait présager qu’avant peu de temps le droit public aura consacré l’esclavage de tout

homme ayant la peau noire ou foncée. Encore plus francs dans leur férocité que les

planteurs de l’Arkansas et du Missouri, les habitants du Maryland ont couvert de

signatures une pétition demandant que les soixante-quinze mille Africains libres de l’État

soient immédiatement réduits en esclavage et distribués entre les citoyens blancs. Cette

proposition se fonde sur les intérêts sociaux et industriels de l’État, la manifeste destinée

de la race nègre et les droits inaliénables des Blancs. Quant aux raisons invoquées, elles

se réduisent aux deux affirmations suivantes qui semblent contradictoires, mais que la

haine et l’avarice cherchent à mettre habilement d’accord :

1° Le Nègre libre ne travaille pas, il se corrompt dans l’oisiveté, et notre devoir est de

le moraliser par l’esclavage ;

2° Par son travail, le Nègre fait concurrence au travailleur blanc. La conservation de nos

justes prérogatives exige que cette concurrence immorale cesse au plus tôt.

La législature du Maryland n’a pas accédé aux vœux des pétitionnaires, mais elle a

autorisé les Blancs à faire travailler les enfants noirs sans demander le consentement de

leurs parents. En outre, elle a voté une loi permettant aux personnes de couleur de

renoncer à leur liberté. Cette effrayante permission s’inscrivait implicitement dans un

ordre. Par suite de la haine inflexible des esclavagistes contre les affranchis,

l’émancipation d’un Africain s’avère presqu’impossible. Autrefois la volonté du

propriétaire suffisait, et le plus souvent les planteurs, en mourant, donnaient la liberté à

un ou plusieurs de leurs Nègres favoris, mais depuis que l’agitation abolitionniste a fait

tant de progrès, on a pris des mesures dans tous les États à esclaves pour empêcher les

affranchissements. Bien longtemps avant qu’on eût proposé les lois récemment votées

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