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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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continents et la suprématie sur deux mers. Du haut de leur citadelle de l’Anahuac, ils

pourraient braver toutes les attaques des défenseurs la liberté. Malheureusement pour eux,

William Walker et ses flibustiers n’ont point réussi dans leurs entreprises de conquête,

souvent réitérées. En outre et malgré leurs dissensions intestines, les huit millions de

Mexicains se refusent unanimement à la réintroduction de l’esclavage dans leur pays. En

outre les puissants États libres de la Californie et de l’Orégon, rétrécissent encore le cercle

de feu autour du territoire de l’esclavage.

Ce serait une erreur de croire que les adversaires des planteurs habitent seulement le

nord des États-Unis. En effet, les Antilles et l’Amérique espagnole les ennemis les plus

redoutables de l’Institution Particulière, résident dans les États à esclaves, à côté même

des plantations, et leur silence contenu les rend d’autant plus dangereux. Les quatre

millions d’esclaves de la République américaine appartiennent à environ 350 000

propriétaires c'est-à-dire à une infime minorité des habitants du Sud, et ce nombre reste

stationnaire. En 1850, le nombre des propriétaires d’esclaves s’élevait à 317 000, mais la

plupart n’en possédait que deux ou trois. On ne compte que 91 000 grands planteurs qui

ont un camp peuplé d’esclaves, à côté de leur demeure. En revanche, la population noire

et celle des Poor Whites augmentent chaque année dans une très forte proportion. La

valeur des esclaves bien côtés s’élève tellement que seuls les riches peuvent encore en

acquérir. Les moins riches achètent quelques travailleurs de rebut, et les produits qu’il

obtiennent s’en ressentent car les cultures industrielles de l’Amérique demandent, comme

nos fabriques européennes, un nombre considérable de bras.

Après une lutte ruineuse, les petits cultivateurs sont donc obligés de vendre esclaves

et champs et de se ranger parmi les prolétaires. Tandis que dans les États septentrionaux,

les propriétés se multiplient à l’infini comme en France, les vastes domaines du Sud

tendent à s’agrandir de plus en plus, et les petits habitants sont obligés les uns après les

autres de reculer devant les riches planteurs, suivis de leurs troupeaux de Noirs.

L’institution de l’esclavage produit aux États-Unis les mêmes résultats sociaux que le

majorat en Angleterre. A peine la culture a-t-elle eu le temps de conquérir le sol des terres

vierges que déjà les petites fermes sont absorbées par les grandes propriétés féodales.

Dans la plupart des comtés agricoles, la population blanche diminue constamment

pendant que la population africaine augmente, et l’on cite un propriétaire possédant à lui

seul un peuple de huit mille esclaves. La remarque si vraie de l’écrivain romain Pline,

latifundia perdidere Italiam, menace de s’appliquer un jour aux États du Sud.

Dépouillés de leur terre, les petits habitants tombent dans une situation déplorable. Ils

sont libres, ils sont citoyens, ils peuvent être nommés à toutes les fonctions publiques, ils

ont le droit inaliénable de molester les Nègres libres, mais ils sont pauvres et comme tels

méprisés. Aucune expression ne saurait rendre le superbe dédain avec lequel les Créoles

louisianais parlent des Cadiens, pauvres Blancs ainsi nommés parce qu’ils descendent des

Acadiens exilés. D’autres, auxquels on donne à tort le même nom, sont les petits-fils des

esclaves blancs, pour la plupart d’origine allemande, qu’on vendait autrefois sur les

marchés sudistes. Les Cadiens habitent des cabanes assez misérables, ils n’osent pas

travailler la terre, de peur de se ravaler au niveau des Nègres, et par un amour-propre mal

placé, mais bien naturel dans un pays d’esclavage, ils cherchent à prouver la pureté de

leur origine par la paresse la plus sordide. Cependant ils n’échappent pas au mépris des

Nègres eux-mêmes, qui voient la pauvreté de ces Blancs avec une satisfaction contenue.

Ainsi condamnés à l’oisiveté par leur dignité de race, placés entre le mépris des grands

propriétaires et celui des esclaves, ces petits habitants ont l’âme rongée par l’envie et

nourrissent contre les planteurs une haine implacable, à demi cachée sous les formes

d’une obséquieuse politesse. Plusieurs même ne craignent pas d’exprimer hautement

leurs vœux en faveur d’une insurrection d’esclaves, et ceux d’entre eux qui émigrent dans

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