UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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le repousser et le disperser. Comme trophée de leur expédition, ils rapportèrent en
triomphe à Port-Royal les chaînes, les carcans et autres instruments de torture qu’ils
avaient trouvés dans les habitations et les villages de la Floride. Ils ramenaient aussi tous
les Noirs qu’ils avaient rencontrés sur les plantations et qui offraient avec joie de faire
partie des régiments que le général David Hunter organisait par voie de conscription. Si
l’on en croit le général Saxton et le colonel Thomas W. Higginson du 1 st South Carolina
Volunteers (le premier régiment noir dont le ministère de la Guerre a autorisé la
formation), ces Noirs font preuve d’une abnégation complète et marchent sans hésitation
partout où leurs officiers les envoient. Ils sentent fort bien que le peuple américain les
regarde, et se conduisent en conséquence avec un courage héroïque et un profond
sentiment des devoirs qu’ils sont appelés à remplir envers leur race déshéritée. Higginson,
le colonel du affirma qu’il n’aurait point osé tenter, avec un régiment de ses compatriotes
blancs, l’expédition qu’il a conduite à bonne fin avec ses volontaires noirs.
Cela se comprend : tandis que les Américains du Nord se battent pour la Constitution,
qui est une chose abstraite, les Nègres luttent pour leur liberté, celle de leurs familles et
de leur race. Ils apportent au combat cette passion, ce délire de la bataille que les planteurs
confédérés éprouvent aussi, mais qui semblent faire complètement défaut aux calmes
Américains du Nord. Un jeune Nègre fugitif suivait en qualité de domestique la brigade
du colonel français Gustave P. Cluseret, cantonnée dans la vallée de la Shenandoah. Par
respect pour les mœurs américaines, les officiers du régiment dans lequel il avait été
affecté lui avaient refusé de porter des armes, mais au premier coup de fusil il monta à
cru sur un cheval du train des équipages et se précipita le premier sur l’ennemi en poussant
des hourras frénétiques.
Général D. Hunter - Colonel T.W. Higginson - Colonel P. Cluseret. (National Archives)
En Louisiane, les trois régiments d’hommes de couleur ne se sont pas conduits avec
moins de bravoure que le premier régiment noir de la Caroline du Sud. Ils ont défendu
l’important chemin de fer des Opelousas et vaillamment combattu sur les bords du bayou
Lafourche et du bayou Tèche. Malheureusement le général Banks a commis l’imprudence
de ne pas séparer complétement les deux fractions de l’armée fédérale appartenant à la
race noire et à la race blanche. Si tous les hommes de couleur des régiments africains
étaient de simples soldats, peut-être leur présence serait-elle dédaigneusement tolérée par
les troupes du Nord, mais parmi les Noirs et les mulâtres il en est qui portent l’uniforme
d’officiers, et qui, d’après la hiérarchie militaire, sont les supérieurs des soldats et sousofficiers
blancs. C’en est trop pour des hommes qui ont été élevés dans l’horreur du
Nègre, et souvent ils ont recours à l’insulte et même à la violence pour constater leur
supériorité native. Comme on ne peut pas accuser de lâcheté les Noirs et les mulâtres
louisianais de La Nouvelle-Orléans que leurs ancêtres ont si vaillamment défendue en
1814, on se contente alors de leur reprocher leur couleur.