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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Mexique. Un grand nombre de propriétaires du Texas, de la Louisiane, de la Floride, ont

même abandonné le continent et se sont réfugiés à Cuba avec leurs esclaves pour y créer

de nouvelles plantations. Avant la guerre, l’émigration se faisait en sens inverse : au

mépris des lois, les Floridiens allaient notamment recruter leurs Nègres sur les côtes

cubaines. On pourrait, jusqu’à un certain point, mesurer l’importance des résultats

obtenus en évaluant le nombre de Nègres devenus libres depuis le commencement de la

guerre civile américaine.

Les anciens esclaves, qui ont entre les mains leurs certificats d’émancipation ne sont

guère plus de 80 000. En effet, on en compte 18 000 en Caroline du Sud et en Floride,

plus de 6 000 au Kansas, près de 10 000 dans le district fédéral de Washington et dans les

environs, 2 000 à New-Bern en Caroline du Nord, 20 000 sur les bords du fleuve en

amont de Vicksburg, à peu près autant dans les régions de la Louisiane inférieure (dite

basse Louisiane), 10 000 en Pennsylvanie et dans la ville de Baltimore. À ces affranchis,

il faut ajouter plus de 400 000 Noirs des États du centre et de la partie de la Louisiane

libérée par les troupes fédérales. Tout en gardant le nom d’esclaves, ces Noirs sont de

facto émancipés et travaillent s’ils touchent un salaire régulier.

Ces Noirs constituent déjà la huitième partie de l’ancienne population servile, et leur

affranchissement représente pour les planteurs une perte d’au moins un milliard de

dollars, une perte plus que doublée sans aucun doute par la dépréciation générale des

Noirs qui sont restés à la condition d’immeubles. On pourrait aussi compter parmi les

émancipés les 500 000 Nègres libres que les législatures esclavagistes avaient en grande

partie condamnés à une nouvelle servitude, et que les derniers événements ont empêché

de mettre en vente. Enfin les Petits Blancs eux-mêmes, qu’une logique inévitable

condamnait d’avance à partager tôt ou tard le sort des Nègres, et pour lesquels les

planteurs du Texas de l’Arizona et du Nouveau-Mexique avaient ingénieusement établi

un système d’esclavage temporaire, sont redevable de leur liberté future à cette guerre qui

les décime. Ainsi les faits nous autorisent à croire que si l’Union est encore en danger,

l’esclavage du moins ne sortira pas triomphant de la lutte. L’institution patriarcale s’en

va, et quoi qu’en disent les impatiens, elle disparaît beaucoup plus rapidement que les

mœurs américaines ne pouvaient nous le faire espérer.

Des millions de Noirs auxquels la loi n’accordait pas le droit d’exister vont entrer dans

le concert de l’humanité et pourront lui rendre d’autres services que celui de labourer la

terre. En même temps des millions de Blancs qui s’étaient accoutumés à mépriser le

travail et se seraient crus dégradés, s’ils avaient fait œuvre de leurs mains, apprendront

que l’homme s’ennoblit par le labeur et contribueront à la prospérité générale. Les

habitants des États du Nord gagneront aussi à la libération des esclaves du Sud, et, sachant

désormais que la liberté civique ne doit pas être un privilège de peau, ils n’offriront plus

le honteux spectacle d’une république comptant des ilotes parmi ses membres. Une fois

débarrassée de ce lourd fardeau de l’esclavage, la société américaine pourra marcher d’un

pas plus rapide vers la réalisation d’autres progrès et commencer une nouvelle ère. Certes

c’est une chose immense que la fin prochaine de cette funeste institution dont l’histoire

se confond avec celle même de l’humanité. Cependant, à l’exception de quelques milliers

d’abolitionnistes confiants dans la puissance des idées, les Républicains et les

Démocrates du Nord s’étaient lancés tête baissée dans le conflit sans prévoir le résultat

de leurs efforts patriotiques, sans vouloir autre chose que le maintien de l’Union. La veille

même de l’installation du président Lincoln, le Congrès avait voté d’enthousiasme un

amendement à la Constitution, qui interdisant à jamais d’abolir la servitude des Noirs

dans aucun des États américains.

Maintenant, deux années à peine après le vote de cet amendement mémorable, que

d’ailleurs la nation n’a point ratifié, le président Lincoln a décrété l’émancipation des

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