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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Dans les États du Nord, des colonels et même des officiers généraux ont menacé de

donner leur démission, si on faisait combattre leurs troupes à côté des régiments africains.

Un colonel né dans la patrie de Wilberforce s’écriait en parlant à ses soldats : je ne

souffrirai point que votre dignité et vos mâles vertus soient contaminées par l’approche

de ces êtres inférieurs ! Un autre, suivant l’exemple du général Stevenson, du

département de Beaufort, déclarait qu’il préférait être vaincu à la tête de soldats blancs

que vainqueur à la tête de soldats nègres. Si graves que soient les premières difficultés,

elles s’aplaniront bien vite, pourvu que l’on ait soin de séparer provisoirement les soldats

des deux races et d’opérer la fusion avec prudence. Aujourd’hui les défenseurs de l’Union

appartenant à la famille africaine sont à peine au nombre de 6 000, mais bientôt les

nécessités de la lutte grossiront leurs rangs, et quand ils formeront de véritables armées,

ils trouveront bien des occasions de se venger noblement, en rendant des services signalés

à ceux qui les méprisent. Sans accepter entièrement le mot du colonel Wendell Philipps :

comptez sur Dieu et sur les Nègres ! On peut croire que le jour viendra où l’Union sera

forcée d’accueillir avec reconnaissance l’aide de ces hommes qui hier encore étaient

privés du nom de citoyens.

Au commencement de la guerre, les généraux confédérés, que leur expérience de

planteurs avaient habitués à compter sur l’obéissance des Nègres, ne craignaient pas

d’ordonner des réquisitions de Noirs libres ou esclaves pour les faire travailler sur les

routes, bâtir des fortifications et accomplir des tâches lourdes ou ingrates. C’était sans

doute une pénible tâche pour ces Africains, que d’aider à soutenir le pouvoir de leurs

maîtres, mais, par nécessité, ils se conduisirent vaillamment dans toutes les occasions. Le

général confédéré Stonewall Jackson, qui utilisa beaucoup de Noirs libres ou esclaves

dans son armée, rendit un éclatant témoignage à leur fidélité ou à leur obéissance. Aussi

longtemps que les généraux fédéraux respectèrent la loi fédérale prescrivant l’arrestation

des esclaves fugitifs, les autorités militaires confédérées, heureuses de la naïve complicité

de leurs adversaires, purent continuer librement d’utiliser leurs Noirs au sein de leurs

armées. Cependant, les Rebelles commencèrent à réfléchir quand le gouvernement des

États-Unis s’engagea dans sa politique d’émancipation. Comme l’attitude des Noirs se

modifiait graduellement et que, tôt ou tard, elle aurait pu devenir menaçante, les généraux

sudistes se contentèrent désormais de faire travailler leur main-d’œuvre de couleur sur les

retranchements et sous une surveillance attentive.

Mais d’où vient, se demande-t-on, que les esclaves des plantations ne se soient pas

encore insurgés pour tenter de conquérir leur liberté de vive force ? Chose étonnante, la

nature humaine est ainsi faite, que ceux mêmes qui reprochent aux Noirs de ne pas s’être

soulevés ne sauraient assez exprimer leur exécration pour les fauteurs d’une guerre

servile, si tout à coup elle venait à éclater dans les États Confédérés ! Quoi qu’il en soit,

une insurrection générale des esclaves était complètement impossible avant la période

actuelle de la guerre. Dans onze États qui ont proclamé la scission, le nombre des Noirs

asservis est inférieur de plus d’un tiers à celui des Blancs 13 , et tandis que ceux-ci sont

groupés dans les villes et les villages, les esclaves sont en général disséminés dans les

campagnes. Outre les avantages d’une majorité compacte, les Blancs ont tous les

privilèges que donnent le constant usage des armes à feu, l’unanimité des passions, la

solidarité des intérêts, une instruction relative, l’habitude du commandement. Les Nègres,

au contraire, pauvres ignorants livrés en proie à un désespoir chronique qui leur ôte la

faculté de vouloir, mêlent une vénération stupide à la frayeur que leur inspirent les maîtres

et les économes. Dispersés sur les plantations par chiourmes presque complètement

isolées, soumis à une surveillance de presque tous les instants, n’ayant pas le droit de faire

13

En juin 1860, les officiers recenseurs ont compté dans ces États 5 449 163 personnes de race blanche et 3 521 110 esclaves

(61 et 39%). En 1861, le territoire encore occupé par les séparatistes compte environ 4 500 000 Blancs et 3 100 000 Noirs (59 et 41%).

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