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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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commerciale de l’Angleterre ! Mais ils n’ont pas fait un pacte avec la fortune, et tôt ou

tard leur pays cessera d’être le seul grand producteur du coton. Cotton is King ! disent

orgueilleusement les propriétaires d’esclaves, et tant que le coton nous appartiendra, nous

serons les souverains commerciaux de l’Angleterre. Néanmoins, le coton n’est pas le

produit agricole le plus important du territoire si fertile de la République, il vient après le

maïs, le foin et le blé, que l’on cultive surtout dans le Nord, il n’occupe environ que le

dix-huitième des campagnes mises en culture. Mais les planteurs américains n’en ont pas

moins le monopole de ce produit, et ils gouvernent le marché du monde. Les quatre

cinquièmes de leur récolte s’exportent en Europe, et les cinq septièmes environ en

Angleterre. Chaque année, les États-Unis expédient en moyenne au Royaume Uni deux

millions de balles de coton pesant 580 millions de kilos et valant 750 millions de francs.

Ces deux millions de balles sont transformées par quinze cent mille ouvriers en

marchandises d’une valeur de quatre milliards de francs.

Tous les autres pays producteurs de coton : les Indes orientales et occidentales, le

Brésil, l’Égypte, et les côtes de Guinée, fournissent aux industriels anglais à peine un

cinquième de ce que leur expédient les planteurs américains. Un douzième seulement

provient des colonies anglaises. Qui donc ne voit sur quelle fragilité repose cette

supériorité des producteurs américains ? Si une insurrection servile vient à éclater, les

champs resteront incultes, la graine de coton laissera envoler son duvet, les mille grands

navires qui transportaient la précieuse fibre resteront inactifs dans les ports. Les fabriques

anglaises, ruches immenses où bourdonnaient des cent mille ouvriers, seront

immédiatement désertées et cinq millions de personnes qui vivent directement ou

indirectement de la fabrication du coton sont jetés en proie à la famine. Les banques et

les usines se fermeront, les fortunes les mieux établies s’écrouleront, le pain du pauvre et

les millions du riche s’engouffreront en une même banqueroute. Dans le monde entier, le

commerce et l’industrie s’arrêteront, et des années s’écouleront peut-être avant que les

peuples n’aient repris leur équilibre.

Heureusement les Anglais connaissent le danger et mettent tout en œuvre pour le

conjurer. C'est pour assurer à leur patrie de nouveaux marchés producteurs qu’ils

travaillent avec une activité fébrile à la construction des chemins de fer de l’Hindoustan,

et que Livingstone a pénétré à l’intérieur de l’Afrique. Il faut qu’une moitié de l’univers,

les rayas de l’Inde, les colons du Queensland, les Nègres encore barbares du Zambèze et

du Shirwa, les sujets du roi de Dahomey, les fellahs d’Égypte, les Siciliens et les

Napolitains, qui viennent à peine de secouer le joug, il faut que tous cultivent le précieux

cotonnier. Sinon l’Angleterre est à la merci d’une insurrection d’esclaves, elle est chaque

jour à la veille de sa ruine. Si les Anglais, avec leur indomptable énergie et leur

merveilleux esprit de suite, atteignent le but qu’ils se proposent, s’ils réussissent à créer

aux quatre coins du monde des marchés producteurs de coton, s’ils parviennent surtout à

remplacer le coton par quelques-unes de ces fibres textiles que produisent les Indes. Alors

ils suspendront à leur tour sur la tête des planteurs une menace de ruine et de désolation.

Or, si les propriétaires d’esclaves en arrivent à ne plus vendre leurs produits, et si la

valeur du travail servile se réduisait à néant, l’émancipation deviendrait inévitable. C’est

un gouverneur de la Caroline du Sud, M. Adams, qui s’exprime ainsi. On a vu que toute

insurrection spontanée de la part des esclaves est très improbable, mais si quelque

étincelle partie du Kansas devait allumer une guerre de frontières, les dangers des

planteurs augmenteraient journellement. Les esclaves fugitifs, aujourd’hui traqués dans

les forêts, les milliers de Nègres libres exilés dans les États septentrionaux pourraient se

réunir, s’organiser en corps francs, et, suivant le plan de John Brown, se jeter dans les

défilés des chaînes Alleghanys qui traversent les États à esclaves du Nord ou du Sud sur

une longueur de 3 000 kilomètres et par leur sextuple muraille partagent l’empire des

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