C - Notes du mont Royal

TRISTES, LIV. I, ELEG. VI1L 57
pitié naturelle à des étrangers même, de prendre congé
de moi; de joindre ta voix à celle du peuple; au cri public;
enfin 5 lorsque ces traits mélancoliques ne devaient
plus s'offrir à toi, de profiter pour les revoir du dernier
jour qui t'était offert: et, une seulefois encoi , epour toute
la vie 5 de recevoir et de prononcer avec l'accent de la
sympathie un dernier adieu? D'autres m'ont témoigné
ces égards sans m'être unis par aucun lienj et leurs
larmes ont été les indices de leurs sentimens.
Qu'aurais-tu donc fait, si des relations habituelles, si
les motifs les plus puissans, si un attachement de longue
durée ne nous eussent pas liés? Qu'aurais-lu fait, si tu
n'avais pas été le confident de tous mes plaisirs , de toutes
mes occupations, si je ne l'avais été moi-même de tes
occupations et de tes plaisirs? Qu'aurais-tu fait, si tu
ne m'avais connu qu'au milieu de Rome, toi qui tant
de fois fus admis aux mêmes lieux que moi? Les
vents impétueux ont-ils dissipé tous ces vains souvenirs?
Les eaux du Léthé les ont-elles engloutis dans
leur cours ?
Non 5 tu n'es pas né dans la ville de Quirinus, asile
de la clémence, dans cette ville, hélas! où je ne dois plus
porter mes pas, mais au sein des écueils qui hérissent à
l'occident les rivages du Pont, au sein des montagnes
barbares de la Scythie et de la Sarmatie : tes entrailles
sont de roche, ton cœur impitoyable est de bronze : la
nourrice, dont tes jeunes lèvres pressèrent les mamelles
gonflées 5 était une tigresse : sans cela tu n'aurais pas vu
mes malheurs avec autant d'indifférence que tu le fais
aujourd'hui, et je n'aurais pas à t'accuser de cruauté.