C - Notes du mont Royal

TRISTES, LIV. III, ÉLEG. III. i35
funèbre, privé des honneurs d'un tombeau, du tribut
ordinaire des pleurs, une terre barbare recouvrira ce
corps infortuné !
Et toi, en apprenant cette nouvelle, tu sentiras ton
esprit s'égarer; ta main tremblante frappera ton sein
fidèle. Tu étendras en vain les bras vers cette contrée;
tu prononceras inutilement le nom de ton malheureux
époux. Va, cesse de te meurtrir les joues, de t'arraeher
les cheveux : ce n'est pas la première fois, âme de ma
vie, que je t'aurai été enlevé : c ; est eu perdant ma patrie,
songe-s-y bien, que je péris, et cette mort fut pour moi
la première et la plus cruelle. Maintenant, si tu le peux,
mais non, cet effort ne t'est pas possible, 6 la plus tendre
des épouses, réjouis-toi que la mort ait mis un terme
à tant de maux. Ce que tu peux du moins, c'est de te
rendre par une courageuse résignation l'infortune plus
légère; il y a long-temps que ton cœur en a fait Je triste
apprentissage.
Ali! plût au ciel que l'âme pérît avec le corps, et
qu'aucune partie de mon être n'échappât à la flamme
dévorante! car si l'âme, d'une essence immortelle, prend
son essor à travers l'espace, si ie vieillard de Samos a
dit la vérité, on verra l'ombre d'un Romain errer parmi
celles des Sarmates, étrangère à ces mânes farouches,
et à jamais enchaînée au milieu d'eux.
Que par tes soins, dans une urne modeste, mes cendres
soient rapportées à Rome: ainsi, après mon trépas
du moins, je ne serai plus exilé. Personne ne s'y peut
opposer : une princesse thébaine, qui venait de perdre
son frère, sut bien, malgré la défense du roi, le mettre
dans la tombe. Prends des feuilles et de la poudre d'amomum
pour les mêler à ma cendre; dépose-la près des