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Sur la platitude du Karoo, il n’y a aucun arbre pour retenir <strong>le</strong>s sons que<br />
<strong>le</strong> vent emporte très haut vers <strong>le</strong> ciel avant de <strong>le</strong>s écraser dans ses doigts<br />
d’acier.<br />
Ceux qui vont en mer sont malades de la hou<strong>le</strong> et ceux qui traînent <strong>le</strong>urs<br />
tongs dans <strong>le</strong> Karoo ont <strong>le</strong> cœur ivre de si<strong>le</strong>nce. D’abord, ça tourne à la<br />
tête comme un mauvais vin, puis pour ceux qui s’y habituent, cela devient<br />
une drogue dont ils ne peuvent plus se passer. Marc Dutoit est un de ceux<br />
qui sont embaumés dans la momie du grand calme. Les aînés quand à<br />
eux, sont écrasés par <strong>le</strong> poids de ce si<strong>le</strong>nce infini qui <strong>le</strong>ur donne des<br />
cauchemars et <strong>le</strong>ur troub<strong>le</strong> <strong>le</strong>s sens.<br />
Gonzague a passé la nuit dehors, sous la tô<strong>le</strong> du vieux hangar, plié en<br />
chien de fusil entre des piquets poussiéreux et des rou<strong>le</strong>aux de barbelés<br />
rouillés. Il n’a pas dormi une minute, trop inquiet, trop soucieux de se<br />
faire piquer par un cobra, un scorpion ou par une araignée géante. Il a<br />
attendu <strong>le</strong> départ matinal de son onc<strong>le</strong> avant de revenir penaud et très<br />
méfiant vers la ferme. Il s’est effondré dans son lit pour dormir jusqu’au<br />
milieu de l’après-midi. Puis, il joue au héros qui s’est évadé des mains de<br />
la Gestapo, mais <strong>le</strong> soir, il fait des efforts considérab<strong>le</strong>s pour passer<br />
inaperçu.<br />
Au bout du cinquième jour, il a décidé qu’il n’y a qu’une pièce<br />
intéressante dans la maison : <strong>le</strong> salon aux canapés de velours vert cacad’oie<br />
où se trouve <strong>le</strong> poste de télévision. Il a vite fait <strong>le</strong> tour des trois<br />
chaînes sud-africaines où défi<strong>le</strong>nt des romans feuil<strong>le</strong>ton de townships en<br />
zoulou, xhosa ou tswana, avec une publicité axée essentiel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s<br />
effets du blanchissement d’une certaine poudre à <strong>le</strong>ssiver. Les feuil<strong>le</strong>tons<br />
américains sont miel<strong>le</strong>ux et <strong>le</strong>s rares films sont des vieil<strong>le</strong>ries avec des<br />
caïds du Bronx new-Yorkais dont l’anglais résonne comme celui que<br />
baragouinaient <strong>le</strong>s boucaniers des Caraïbes sous la torture qui <strong>le</strong>s faisait<br />
grandir de cinq centimètres toutes <strong>le</strong>s heures.