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Chapitre 23 - Chasse à l’homme<br />
Le vent a soufflé pendant trois jours et trois nuits. Il a balayé toute la<br />
poussière du Karoo pour l’emporter dans des spira<strong>le</strong>s de craie très loin,<br />
derrière <strong>le</strong>s montagnes. C’est un vent caustique et mordant qui rend fou.<br />
Le matin du troisième jour, il poursuit sa course insensée sur la plaine et<br />
fait grincer la vieil<strong>le</strong> éolienne. Le bruit métallique continu fait rager <strong>le</strong>s<br />
garçons qui dorment sur <strong>le</strong> ventre et ont jeté <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>rs sur <strong>le</strong>ur tête pour<br />
ne plus entendre <strong>le</strong> grincement sinistre et <strong>le</strong> bruit des branches qui tapent<br />
sur la tô<strong>le</strong>.<br />
Le vent matinal n’a pas empêché Marc et Bill de partir pour <strong>le</strong>ur<br />
tournée habituel<strong>le</strong> et Raphaël d’explorer <strong>le</strong>s collines pour y col<strong>le</strong>cter<br />
pierres, feuil<strong>le</strong>s, et autres trésors.<br />
A dix heures, il fait tout aussi torride que <strong>le</strong>s autres jours et <strong>le</strong> vent<br />
presse <strong>le</strong>s tempes dans son étau pour ajouter son supplice à celui de la<br />
cha<strong>le</strong>ur. Quelques mouches et abeil<strong>le</strong>s saou<strong>le</strong>s se sont réfugiées dans la<br />
maison pour échapper au tourment qui approche.<br />
L’air est sec et griffe la gorge comme du sab<strong>le</strong>. Un coup<strong>le</strong> de chacals<br />
est venu se cacher sous la ferrail<strong>le</strong> près des hangars. Un troupeau de<br />
moutons a couru à travers la plaine et s’est regroupé dans un kraal en<br />
ruine. Les moutons sont tous tournés vers <strong>le</strong> nord et attendent en guettant<br />
<strong>le</strong> ciel avec des yeux anxieux. La voûte cé<strong>le</strong>ste s’est délavée et prend la<br />
cou<strong>le</strong>ur des vieux jeans. Le so<strong>le</strong>il accroche désespérément ses mains de<br />
feu aux pa<strong>le</strong>s de l’éolienne. Il est jaune comme une f<strong>le</strong>ur de ca<strong>le</strong>ndula et<br />
ses doigts incandescents agrippent la tourel<strong>le</strong> pour résister au vent<br />
infernal.<br />
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Quand Raphaël revient de sa ballade, <strong>le</strong> ciel du sud est devenu d’un<br />
b<strong>le</strong>u cobalt comme celui des faïences chinoises. Le ballon du so<strong>le</strong>il s’est<br />
envolé et se noie dans une eau de vaissel<strong>le</strong> qui stagne au zénith.<br />
L’ado<strong>le</strong>scent a lutté contre <strong>le</strong> vent en marchant la tête penchée sur <strong>le</strong><br />
chemin du retour. Il monte <strong>le</strong> parvis la tête baissée et heurte de p<strong>le</strong>in fouet<br />
l’estomac de Gonzague qui rêvassait près de la porte.<br />
Le souff<strong>le</strong> coupé, la bouche ouverte et la voix éteinte, l’aîné se courbe<br />
de dou<strong>le</strong>ur et tente de retrouver sa respiration.<br />
« Excuse-moi, Gonzague, balbutie Raphaël. Je ne t’avais pas vu… »