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Octobre 1955<br />

C’était la fête des vendanges au village de Castelviel. Le grand<br />

chapiteau blanc était dressé sur une terre à blé à côte de la mairie. Un<br />

crachin d’automne arrosait <strong>le</strong> crépuscu<strong>le</strong> alors que l’orchestre et son<br />

maître accordéoniste entamaient <strong>le</strong>s premières mesures d’un tango. Le<br />

chapiteau se remplissait vite. A l’entrée, <strong>le</strong>s parapluies bariolés des jeunes<br />

fil<strong>le</strong>s avaient priorité. Les garçons attendaient tête nue sous <strong>le</strong> crachin et<br />

ne prenaient pas <strong>le</strong> temps de maudire la pluie, soucieux d’entrer au plus<br />

vite dans <strong>le</strong> saint des saints. Les jeunes fil<strong>le</strong>s ‘en âge de danser’ et de<br />

courtiser étaient alignées sur <strong>le</strong>s bords de la toi<strong>le</strong> cirée du chapiteau.<br />

Vêtues de robes faites maison, trop maquillées et chaperonnées par <strong>le</strong>urs<br />

mères, el<strong>le</strong>s regardaient par petits coups d’œil furtifs vers l’entrée où se<br />

pressaient <strong>le</strong>s jeunes hommes. L’œil maternel sévère, digne et respectab<strong>le</strong><br />

planait au-dessus des couvées, bien décidé à protéger la vertu des<br />

jouvencel<strong>le</strong>s.<br />

Le curé du village avait prévenu l’accordéoniste. « Pas de musique<br />

frotti-frotta. On n’est pas à Pigal<strong>le</strong> ! »<br />

Les garçons arrivaient à pied, à vélo ou en so<strong>le</strong>x. Le grand Trébuchet<br />

avait galopé <strong>le</strong>s cinq kilomètres depuis Gornac sur un cheval de labour.<br />

Ça faisait gros propriétaire.<br />

Ils venaient tous tenter <strong>le</strong>ur chance. Ils formaient une longue fi<strong>le</strong> qui se<br />

mouvait <strong>le</strong>ntement vers <strong>le</strong> tabernac<strong>le</strong> de la drague. Ceux qui avaient fait<br />

<strong>le</strong>ur service militaire parlaient en experts du sexe féminin. Les jeunes<br />

écoutaient avec admiration. Les hormones étaient en ébullition. Certains<br />

avaient bu du gros rouge pour se donner du courage. Mais <strong>le</strong> gros rouge<br />

donne envie de se battre ou de p<strong>le</strong>urer quand on dépasse la limite. Alors<br />

on danse comme un couillon et on rate sa chance.<br />

On se poussait, on se bousculait, on se <strong>le</strong>vait sur la pointe des pieds pour<br />

voir et être <strong>le</strong> premier à inviter la plus bel<strong>le</strong>, car <strong>le</strong>s choix du premier tour<br />

se concentraient sur <strong>le</strong>s plus bel<strong>le</strong>s. Mais il est rare, sinon impossib<strong>le</strong> que<br />

<strong>le</strong>s plus bel<strong>le</strong>s acceptent de danser avec un corniaud. Et <strong>le</strong> roi des<br />

couillons c’était celui qui insistait malgré tout.<br />

Près de l’entrée, on retrouvait chaque année Nenette Laroque et ses six<br />

fil<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s plaçait en premier, espérant qu’au moins un homme<br />

inviterait une de ses fil<strong>le</strong>s. Mais personne n’en voulait. La septième des<br />

fil<strong>le</strong>s Laroque avait tout reçu : la beauté, <strong>le</strong> charme et l’intelligence. El<strong>le</strong><br />

n’avait rien laissé aux autres. El<strong>le</strong> était partie avec un déluré de la vil<strong>le</strong><br />

et, depuis, <strong>le</strong>s autres attendaient qu’on veuil<strong>le</strong> bien d’el<strong>le</strong>s. L’aînée,<br />

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