Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
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penses pas ! Qui nous dédommagera de nos souffrances ? On prétend qu’il faut pardonner à qui se repent,<br />
mais toi, tu ne te repens pas : tu as peur, et voilà pourquoi tu proposes de nous rendre tout ce que tu nous<br />
as pris ! Mais je ne t’écouterai pas. <strong>Le</strong>s traîtres et les criminels doivent être châtiés selon la gravité de<br />
leurs forfaits. Et je vais sans tarder faire justice ! »<br />
Il ordonna de préparer une grande cuve et la fit placer au milieu de la cour, sous un grand arbre. Alors,<br />
il alla chercher les sept prisonniers, les amena là, et commanda qu’on leur coupât la tête dans la cuve et<br />
qu’on les laissât s’y vider de leur sang. Ensuite, il fit ôter les corps et les têtes de la cuve, à l’intérieur de<br />
laquelle seul restait le sang. Enfin, il dit à ses hommes de désarmer <strong>Le</strong> Hellin et de le conduire à la cuve.<br />
Là, il le fit étroitement lier par les pieds et lui déclara d’un ton railleur : « Puisque tu n’as jamais pu te<br />
repaître du sang des chevaliers de mon père et de mon oncle, je vais, moi, te repaître du sang de tes<br />
propres chevaliers ! »<br />
Il le fit alors suspendre par les pieds à l’une des branches de l’arbre, au-dessus de la cuve, de telle<br />
manière que sa tête y fût plongée jusqu’aux épaules, et il le laissa ainsi jusqu’à ce qu’il fût mort. Puis il<br />
fit jeter son corps dans un ancien charnier qui se trouvait auprès d’une vieille chapelle, dans la forêt, et<br />
vider la cuve emplie de sang dans la rivière dont l’eau devint toute rouge. Et lorsque tout fut accompli<br />
selon ses ordres, il ramassa les deux tronçons de son épée, sauta sur son cheval et s’éloigna dans la forêt.<br />
Il pleurait. À la rage et à la violence avait succédé l’angoisse. Oui, il s’était vengé. Oui, il avait vengé<br />
son père et son oncle. Oui, il avait fait justice. Mais les paroles de son autre oncle, l’ermite, hantaient sa<br />
mémoire. Depuis que Caïn avait tué Abel, la terre était rougie du sang des hommes, et la haine s’était<br />
répandue dans le monde. Aussi, tout en chevauchant il ne savait vers où, <strong>Perceval</strong> pleurait-il.<br />
Il était si absorbé dans ses tristes pensées qu’il ne voyait rien de ce qui l’entourait. <strong>Le</strong>s landes<br />
succédaient aux champs et les champs aux landes, lui poursuivait sa route sans même s’apercevoir que le<br />
soleil déclinait, qu’il allait disparaître derrière une sombre forêt. Il ne prit conscience de l’obscurité qui<br />
gagnait peu à peu le chemin qu’en se retrouvant brusquement au pied d’une haute muraille. « Par Dieu<br />
tout-puissant ! se dit-il, quel qu’il soit, le maître de cette forteresse devra m’héberger cette nuit ! » Il<br />
franchit la poterne et pénétra bientôt dans une vaste cour au milieu de laquelle se dressait une tour bâtie<br />
de belles pierres et surmontée d’un toit d’ardoise où se reflétaient les dernières lueurs du soleil.<br />
<strong>Le</strong> seigneur vint à sa rencontre. C’était un grand chevalier, d’aspect fort jeune encore, mais dont les<br />
longs cheveux roux, le mufle balafré et le regard fuyant n’inspiraient aucune confiance. Il ne semblait pas<br />
que la maisonnée comportât d’autres chevaliers. Dès que <strong>Perceval</strong> eut mis pied à terre, le seigneur se<br />
précipita vers la porte et la verrouilla soigneusement, puis il revint vers lui et le salua comme si de rien<br />
n’était. Tout étonné qu’il fut de ce comportement, <strong>Perceval</strong> lui rendit son salut, et il se préparait à lui<br />
demander de bien vouloir l’héberger quand l’homme s’écria d’une voix mauvaise : « Je ne te souhaite pas<br />
la bienvenue, car tu ne repartiras point d’ici sans avoir obtenu la récompense que tu mérites ! Sache-le, tu<br />
es mon ennemi mortel, <strong>Perceval</strong>, fils d’Evrawc. Tu as été bien hardi de t’arrêter ici, toi qui as tué mon<br />
père, le valeureux <strong>Le</strong> Hellin, seigneur de la Forêt des Ombres. Je suis Kaw le Roux, et je n’ai cessé de<br />
guerroyer contre ton père, autrefois, bien que je fusse alors très jeune, en compagnie de mon père et de<br />
mes frères. Ce château où tu es, nous l’avons pris à ton père, et nous en sommes fiers. Et maintenant, je<br />
vais prendre ta vie ! Ainsi ma vengeance sera-t-elle menée à son terme !<br />
— Seigneur, répondit <strong>Perceval</strong>, si je me suis arrêté dans cette forteresse, c’est pour te prier de<br />
m’accorder l’hospitalité. Tu risquerais d’être blâmé et honni si tu me maltraitais, et ce d’autant plus<br />
qu’avec mon épée brisée je ne saurais t’affronter en combat loyal. Héberge-moi cette nuit comme tout<br />
chevalier doit le faire en faveur d’un autre chevalier et, demain, avant mon départ, je m’y engage, pourvu<br />
que tu me fournisses une épée, nous réglerons cette affaire. – Sur ma tête ! s’écria Kaw, mon ennemi<br />
mortel, je ne puis l’héberger que mort ! Et peu importe que tu aies ton épée ou non, tu ne sortiras pas<br />
vivant d’ici ! » Sur ce, il se précipita dans la salle et ne tarda pas à en ressortir tout armé et l’épée levée