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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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souffert en ton absence, et j’ai cru mourir de chagrin. Où es-tu donc allé ? – Où je suis allé ? Ma mère, je<br />

vais te le raconter sans mentir d’un mot. J’ai éprouvé une bien grande joie grâce à un spectacle<br />

extraordinaire. Tu m’avais dit maintes et maintes fois, je m’en souviens, que les anges de Dieu sont si<br />

beaux que jamais la nature n’a rien créé de semblable, et que nulle beauté au monde ne se peut comparer<br />

à la leur. – Certes, répondit-elle, je l’ai dit, et je le répète. – Eh bien, ma mère, force m’est de reconnaître<br />

que c’est inexact. Je m’en allais à travers la Gaste Forêt et j’y ai vu des choses absolument<br />

merveilleuses, des êtres encore plus beaux, j’en suis convaincu, que tous les anges et que Dieu luimême.<br />

»<br />

À ces mots, la Veuve Dame se mit à trembler. Elle prit son fils entre ses bras. « Dieu te pardonne,<br />

mon, fils ! s’écria-t-elle. Tu viens de prononcer des paroles abominables, et j’ai grand-peur que tu n’en<br />

sois tôt châtié. Tu as dû voir de mauvais anges, de ces anges dont chacun se plaint et qui tuent tout ce<br />

qu’ils atteignent ! Ne t’avais-je point averti de te signer chaque fois que tu rencontrerais de tels<br />

monstres ? – Si fait, ma mère, mais je n’avais que faire de me signer face à eux, car ils sont les êtres les<br />

plus beaux que j’aie croisés dans la Gaste Forêt. Ils m’ont dit qu’on les appelait « chevaliers ». »<br />

À ce mot, une atroce douleur saisit la Veuve Dame. Elle porta la main à sa poitrine et tomba évanouie.<br />

Mais le jeune homme, tout entier à ses pensées, n’eut même pas l’idée de la relever ou de l’allonger sur<br />

un lit. Il sortit de la grande salle et gagna le lieu où se trouvaient les chevaux destinés à porter le bois de<br />

chauffage, la nourriture et la boisson. Il entra dans l’écurie et, après mûre réflexion, choisit un cheval gris<br />

pommelé, osseux, qui lui parut des plus vigoureux. Il lui serra un bât autour du corps en guise de selle, et,<br />

avec du bois flexible, s’ingénia à imiter l’équipement dont il avait vu dotés les destriers des chevaliers.<br />

Puis il retourna auprès de sa mère.<br />

Elle venait à peine de reprendre ses esprits et, s’étant traînée jusqu’à un siège tapissé de velours<br />

rouge, s’y était affalée. « Hélas ! s’écria-t-elle. Malheureuse que je suis ! Beau-fils tendrement aimé, je<br />

pensais pouvoir te préserver de tout cela ! J’avais ordonné qu’on ne te parlât point de chevalerie, j’avais<br />

exigé qu’on ne te laissât jamais apercevoir aucun chevalier ! Certes, s’il avait plu au seigneur Dieu que<br />

ton père pût veiller sur toi, tu aurais été chevalier. Car il n’y eut jamais chevalier de si haut prix et de si<br />

grande vaillance que ton père, mon cher fils, ni si redouté des méchants dans toutes les Îles de la Mer.<br />

Sache-le, tu n’as pas à rougir de ton ascendance, ni de son côté ni du mien. Je suis née d’une si noble<br />

famille de ce pays, et ton père également, qu’aucun autre lignage ne pouvait être comparé au nôtre, tant<br />

par la valeur de nos ancêtres que par notre rang dans le monde. Mais la fortune est capricieuse, et bien<br />

souvent les plus haut placés se retrouvent à terre dans le malheur et la tristesse…<br />

« Jamais je ne t’ai parlé de tout cela, mon fils, parce que je voulais te préserver, parce que je voulais<br />

que tu vives dans la paix et le bonheur, au milieu de la nature que Dieu a créée pour nous, de cette nature<br />

qui est bonne quand l’homme ne la pervertit pas. Il faut donc que tu saches ceci, mon fils tendrement<br />

aimé : j’ai tant souffert de la méchanceté des hommes que je voulais t’en garantir à tout prix. Ton père<br />

était un noble chevalier, toujours prêt à venir en aide aux opprimés, toujours attentif aux malheurs des<br />

autres. Il a payé bien cher son dévouement. Au cours d’un combat, il fut cruellement blessé aux jambes et<br />

il resta infirme. Ses vastes territoires, l’opulence qu’il avait conquise par sa bravoure, tout alla dès lors<br />

en perdition. Il dut vivre dans la solitude et la pauvreté.<br />

« Après la mort du roi Uther Pendragon, père de notre bon roi Arthur, un grand nombre de seigneurs<br />

furent déshérités et ruinés, leurs terres dévastées, les pauvres gens réduits à la condition la plus vile.<br />

Ceux qui pouvaient s’enfuir étaient les moins atteints. <strong>Le</strong>s autres tombaient sous la coupe de seigneurs<br />

indignes qui les maltraitaient et les pressuraient. Ton père possédait ce manoir, ici, dans la Gaste Forêt.<br />

En toute hâte, il s’y fit porter en litière, car il n’avait pu fuir et n’avait point d’autre refuge. Tu étais tout<br />

petit, à l’époque, tu n’avais que deux ans et n’étais pas encore sevré. Lorsque tes deux frères, deux beaux<br />

adolescents, eurent atteint l’âge requis, leur père leur conseilla de se rendre en des cours royales pour

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