Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
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seigneur, autant qu’il me sera possible. » La jeune femme alla donc en avant, poussant les chevaux et<br />
prenant soin de maintenir une bonne distance entre elle et son époux.<br />
Alors qu’ils cheminaient par des terres découvertes, au milieu de prairies et de champs cultivés, ils<br />
aperçurent au loin un bois dont, s’ils en voyaient la partie la plus proche, ils ne distinguaient ni les côtés<br />
ni les extrémités. <strong>Le</strong>ur route passait à proximité de ce bois. Soudain, Énide aperçut cinq chevaliers<br />
ardents et vaillants, solides et robustes, montés sur des chevaux de guerre. Tous, gens et bêtes, étaient<br />
parfaitement équipés. Or, elle entendit les propos suivants : « La belle occasion que voici ! Nous aurons<br />
sans peine tous ces chevaux et ces armures, et de surcroît la femme, car le chevalier, là-bas, ne paraît pas<br />
capable de combattre. » Énide n’hésita même pas ; fort inquiète de ce discours, elle tourna bride et<br />
galopa vers Érec : « Seigneur, cria-t-elle, si tu avais entendu ce que disent ces gens, tu te défierais plus<br />
que tu ne fais ! » Érec sourit d’un air contraint, fâché, vindicatif et amer : « Je vois que tu enfreins<br />
toujours mes ordres ! Il se pourrait que tu aies sujet de t’en repentir ! » Cela dit, il se prépara au combat.<br />
Mais sa fureur était telle qu’il ne tarda guère à culbuter tous ses assaillants. Puis, une fois placées leurs<br />
cinq armures sur les cinq selles, il lia les onze chevaux ensemble par le frein et les confia à Énide. « Je<br />
ne sais, dit-il, à quoi me sert de te donner des ordres, puisque aussi bien tu n’obéis jamais. Mais prends<br />
garde, cette fois, et que cela te serve d’avertissement ! » Énide poussa les chevaux devant elle en<br />
s’efforçant de maintenir son avance. N’eût été la violence de la rage qui l’animait, Érec n’eût jamais<br />
supporté de voir une femme comme elle obligée, à cause des chevaux, à progresser d’une manière aussi<br />
pénible. Cependant, Énide ne protestait point, et, quelque fatigue qu’il commençât d’éprouver, Érec la<br />
suivait à une portée de flèche.<br />
Ils pénétrèrent dans le bois, lequel était très profond et sombre. La nuit les y surprit. « Femme, dit<br />
Érec, il n’est pas utile de continuer. – Bien, seigneur, répondit-elle, nous ferons ce que tu décideras. – <strong>Le</strong><br />
mieux à faire, reprit-il, est de nous écarter de la route et de nous enfoncer dans le bois pour nous reposer<br />
jusqu’au jour avant de reprendre notre voyage. – Volontiers. » Ainsi firent-ils. Érec descendit de cheval<br />
et aida Énide à descendre du sien. « Je suis si fatigué, dit-il, que, pour rien au monde, je ne saurais<br />
m’empêcher de dormir. Toi, tu vas veiller sur les chevaux. Surtout, ne t’endors pas ! – Je le ferai,<br />
seigneur », répondit-elle.<br />
Érec s’endormit donc sans même avoir retiré son armure et passa ainsi la nuit, qui n’était pas longue à<br />
cette époque de l’année. Quand Énide aperçut les premières lueurs de l’aube, elle tourna ses yeux vers<br />
son mari pour voir s’il dormait. Au même moment, il se réveilla, se leva et dit : « Femme, rassemble les<br />
chevaux et pousse-les devant toi. Tu me précéderas de loin, comme tu l’as fait hier. »<br />
<strong>Le</strong> jour était déjà passablement avancé quand, sortant du bois, ils parvinrent dans une plaine. Dans les<br />
prairies qui bordaient les deux côtés de la route, des vilains fauchaient le foin. Au-delà, les voyageurs se<br />
trouvèrent devant une rivière. Érec fit descendre les chevaux sur la berge, et quand ceux-ci se furent<br />
abreuvés longuement, il donna le signal du départ. Après avoir gravi une pente assez raide qui les mena<br />
sur un plateau dénudé, ils rencontrèrent un tout jeune homme mince, élancé, qui, autour du cou, portait une<br />
serviette où se trouvait quelque chose, ils ne savaient quoi, et, à la main, une petite cruche bleue ainsi<br />
qu’un bol rouge. <strong>Le</strong> jeune homme salua Érec. « Dieu te garde, répondit ce dernier, d’où viens-tu ? – De la<br />
ville que tu vois là-bas, droit devant. Trouverais-tu inconvenant, seigneur, que je te demande d’où tu<br />
viens toi-même ? – Non, répondit Érec. Nous avons traversé ce bois, là-bas. – Ce n’est pas aujourd’hui<br />
que vous l’avez traversé. – Non, certes. Nous y avons passé la nuit dernière. – Je suppose, dit le valet,<br />
que votre situation n’a pas dû être bonne hier soir. Vous n’avez pu ni manger ni boire. – Non, certes, par<br />
Dieu tout-puissant ! s’écria Érec. – Dans ce cas, dit le valet, veux-tu suivre mon conseil ? Accepte de moi<br />
ce repas. – Quel repas ? – Celui que j’apportais à ces faucheurs, là-bas, soit du pain, de la viande et des<br />
fromages gras, ainsi que du vin frais. Ces faucheurs sont si bien nourris d’habitude qu’ils peuvent se<br />
passer de manger aujourd’hui.