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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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peur lui coupait l’appétit, et il se repentit d’avoir établi ces jeux, ne fût-ce que parce qu’ils risquaient de<br />

causer la perte d’un homme comme Érec. De fait, celui-ci l’eût-il prié de les abolir à jamais, il le lui<br />

aurait accordé de bon gré.<br />

Finalement, le roi Evrain dit à Érec : « Seigneur, à quoi penses-tu, que tu ne manges pas ? Si tu<br />

appréhendes d’aller aux jeux, tu obtiendras de moi que je t’en dispense, et même que personne n’y soit<br />

plus jamais tenu, et ce par considération pour toi. – Dieu te le rende ! répondit Érec, mais sache que je ne<br />

désire rien tant que de subir l’épreuve au Clos du Nuage. – Si tel est ton désir, je ne saurais m’y<br />

opposer. » Lors ils mangèrent et burent à satiété, car on les gratifia d’un service complet où ne<br />

manquèrent ni mets ni boissons. Et quand, le repas terminé, ils se levèrent de table, Érec demanda son<br />

cheval, revêtit ses armes et partit, guidé par des sergents jusqu’aux abords du Clos du Nuage. Une grande<br />

foule d’hommes et de femmes les suivait en menant grand deuil. Ils arrivèrent devant une grande muraille<br />

de brume épaisse qui masquait tout ce qui se trouvait au-delà. Tout autour se dressaient des pieux sur<br />

chacun desquels – hormis deux – était fichée une tête d’homme. « Quelqu’un peut-il accompagner le<br />

chevalier ? s’enquit Gwiffret. – Non, répondit le roi, il doit aller seul. – Par où entre-t-on dans le clos ?<br />

demanda Érec. – Je l’ignore, répondit le roi. Passe par le côté que tu voudras et qui te paraîtra le plus<br />

commode. » Sans aucune crainte, Érec quitta ses compagnons et s’enfonça dans la nuée, laquelle<br />

l’enveloppa si bien qu’il disparut aux yeux de tous.<br />

Il déboucha dans un verger magnifique qui, hiver comme été, produisait en permanence fleurs et fruits<br />

mûrs. Cependant, ces fruits ne pouvaient être mangés qu’à l’intérieur du verger. L’effet d’une force<br />

mystérieuse empêchait de sortir celui qui, en ayant cueilli un, voulait l’emporter au-dehors. Au<br />

demeurant, ce jardin était peuplé d’oiseaux de toutes sortes qui volaient dans les airs en chantant de<br />

douces romances. Au milieu du verger, Érec aperçut un pavillon tendu d’étoffe rouge. La porte en était<br />

ouverte et, en face d’elle, se dressait un pommier, à l’une des branches duquel était suspendu un cor fixé à<br />

l’arbre par une chaîne.<br />

Érec mit pied à terre et entra dans le pavillon. Il y découvrit une jeune fille d’une très grande beauté,<br />

aux cheveux fins et blonds, assise sur une chaire drapée d’une étoffe brodée d’or. En face d’elle se<br />

trouvait une autre chaire, identique mais inoccupée. Érec alla s’y asseoir. « Je ne te conseille pas de<br />

t’asseoir dans cette chaire, dit la jeune fille. – Et pourquoi donc, mon âme ? – Celui à qui elle appartient<br />

n’a jamais permis qu’un autre que lui s’y assît. – Cela m’est égal, répondit Érec. Je me trouve très bien<br />

dans cette chaire et j’ai l’intention de m’y reposer. »<br />

À ce moment, un grand vacarme retentit à l’extérieur. Érec se releva et alla voir ce qui se passait : il<br />

aperçut alors un chevalier monté sur un destrier fier et ardent, aux naseaux orgueilleux, à la puissante<br />

ossature. <strong>Le</strong> chevalier, qui était bien armé, interpella Érec : « Seigneur, qui t’a permis de t’asseoir sur<br />

cette chaire en face de la jeune fille ? – Moi-même ! répliqua Érec avec insolence. – Tu as eu tort de me<br />

causer un tel affront ! s’écria le chevalier. Tu vas devoir payer de la vie ton audace. – Cela<br />

m’étonnerait », dit Érec en remontant sur son cheval.<br />

Ils commencèrent à se battre avec acharnement, brisant tour à tour force lances. Ils se donnaient l’un à<br />

l’autre des coups durs et cuisants, rapides et violents. À la fin, Érec s’irrita et, lançant son cheval à toute<br />

allure, se jeta sur son adversaire et le frappa juste au milieu de son bouclier, si bien qu’il le fit voler en<br />

éclats. Et la pointe de la lance déchira les sangles de l’armure, de sorte que le chevalier fut jeté à terre<br />

tête la première, par-dessus la croupe de son cheval. Érec bondit sur lui en brandissant son épée.<br />

« Grâce, seigneur ! s’écria le vaincu, et tu obtiendras tout ce que tu voudras. – Je ne veux qu’une chose,<br />

dit Érec, c’est que cessent à jamais pareils jeux, que s’évanouissent muraille de nuages, enchantement et<br />

magie. Mais, auparavant, il faut que tu me dises qui tu es et pourquoi l’on a institué cette épreuve.<br />

— Je vais tout te dire, répondit le vaincu. Sache que je m’appelle Mabonagrain et que je suis le neveu<br />

du roi Evrain. La jeune fille que tu as vue assise dans le pavillon est mon amie. Je la connaissais depuis

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