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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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pouvait de la sorte satisfaire sa paresse et sa couardise tout en paraissant un brave chevalier ? De telles<br />

insinuations n’étaient certes pas du goût d’Énide, et elle avait beau rabrouer les médisants, elle s’avouait<br />

à part elle qu’ils n’avaient pas tout à fait tort.<br />

Un matin, Érec et Énide se trouvaient au lit, elle sur le bord, lui sous les draps, dans leur chambre<br />

vitrée. <strong>Le</strong> soleil dardait ses rayons sur la couche. La poitrine et les bras découverts, Érec dormait d’un<br />

profond sommeil. Quant à Énide, elle se prit à s’extasier sur la merveilleuse beauté de son mari, sans<br />

pouvoir s’empêcher de murmurer : « Malheureuse que je suis si, par ma faute, ces bras et cette poitrine<br />

perdent toute la gloire et toute la réputation qu’ils avaient conquises ! »<br />

Et, en parlant ainsi, elle laissait ses yeux verser des larmes si abondantes qu’elles finirent par tomber<br />

sur la poitrine d’Érec. Ces larmes, ainsi que les paroles qu’Énide venait de prononcer, le réveillèrent. Il<br />

en fut d’autant plus fâché qu’une autre pensée le mit en émoi : il soupçonna que la seule sollicitude pour<br />

lui n’avait pas dicté ces pleurs et ces paroles amères ; il s’imagina que, lui préférant un autre homme, elle<br />

désirait se séparer de lui. Une atroce jalousie entra dans son cœur, et son esprit fut si troublé qu’il se leva<br />

d’un bond et alla trouver son valet : « Fais sur-le-champ préparer mon cheval et mes armes », lui dit-il.<br />

Puis, revenant vers Énide, il lui dit d’un ton lourd de rancœur : « Femme, lève-toi, fais seller ton cheval<br />

et prends, pour chevaucher, le vêtement le plus mauvais que tu possèdes. Je t’emmène avec moi, puisque<br />

tu prétends que j’ai perdu la gloire et la réputation que j’avais conquises. Honte sur moi si tu reviens ici<br />

avant d’avoir appris que mes forces sont moins exténuées que tu ne l’affirmes ! Et si tu cherchais un<br />

prétexte pour demeurer seule avec l’homme que tu désires, eh bien, tu as fait un piètre calcul ! »<br />

Sans répliquer, bien que ce discours l’eût abasourdie, Énide obtempéra sur-le-champ et revêtit un<br />

habit négligé. « J’ignore tout de ta pensée, seigneur, dit-elle enfin, mais je t’obéis en épouse fidèle. – Tu<br />

n’en sauras rien pour l’heure, grommela Érec, et feras sagement de ne m’en plus parler ! » Sur ces mots,<br />

il alla trouver un ancien serviteur de son père en qui il avait toute confiance : « Je pars, lui dit-il, pour<br />

affaire et ne sais trop quand je reviendrai. Veille donc sur la maison jusqu’à mon retour. – Je le ferai,<br />

promit le vieil homme, mais permets-moi de m’étonner : à quoi rime ce départ brusqué ? Il eût mieux valu<br />

suivre le roi Arthur. Il n’est pas prudent de courir les routes sans compagnie. Pars-tu seul ? – Une<br />

personne vient avec moi, répondit Érec. – Dieu te garde et te conseille, reprit le vieillard, et puissent<br />

nombre de gens recourir à toi dans leur nécessité ! Ainsi pourras-tu montrer à tous que tu es digne de tes<br />

ancêtres. »<br />

Érec alla quérir son destrier qu’il trouva harnaché d’un équipement solide et brillant. À Énide, il<br />

ordonna de monter en selle, de le précéder et de prendre une forte avance. « Quoi que je fasse, quoi que<br />

tu voies ou entendes, lui dit-il, je t’interdis de revenir en arrière. À moins que je ne te parle, ne m’adresse<br />

pas un seul mot, ou je t’en tiendrai rigueur, sache-le. » Et, dans cet équipage, ils sortirent tous deux de<br />

Kaerlion sur Wysg.<br />

Ce ne fut point la route la plus agréable ni la plus fréquentée qu’Érec fit prendre à Énide, mais la plus<br />

déserte, celle où pullulait l’occasion de rencontrer brigands, vagabonds ou bêtes venimeuses. Ils<br />

parvinrent ainsi sur un grand chemin pavé, le suivirent jusqu’à un grand bois au travers duquel ils<br />

chevauchèrent. Au sortir du bois, ils aperçurent quatre cavaliers à l’affût sur une hauteur. Ceux-ci les<br />

virent également, et l’un d’eux dit : « Voici une bonne aubaine pour nous : les deux chevaux et la femme,<br />

tout sera nôtre sans effort. Car, certes, ce chevalier tout seul, là-bas, la tête penchée, ne saurait guère nous<br />

résister ! » Énide entendit ces mots mais, de peur de mécontenter Érec, elle hésita sur la conduite à tenir.<br />

« La vengeance de Dieu étant sur moi, se dit-elle enfin, autant recevoir la mort de la main d’Érec que de<br />

la main d’un autre ! Dût-il me tuer de colère, je l’avertirai plutôt que de le laisser frapper à<br />

l’improviste ! » Elle ralentit le pas de son cheval et attendit son mari. Quand celui-ci, toujours plongé<br />

dans ses tristes pensées, fut à sa hauteur, elle lui dit : « Seigneur, entends-tu les propos que ces gens, làbas,<br />

tiennent sur ton compte ? » <strong>Le</strong>vant les yeux, il la dévisagea d’un air sévère : « Tu n’avais rien de

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