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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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le sol, devant la porte, à l’entrée du pont, et je ne sais si elle est vivante ou si elle est morte. Assurément,<br />

la raison de sa chute est le chagrin que lui causait mon départ. Et voilà pourquoi, tant que je serai dans<br />

l’ignorance de son sort, aucun long séjour ne me sera possible nulle part. Avec ta permission, je te<br />

quitterai demain, au lever du jour. »<br />

Gornemant comprit que son insistance n’entamerait nullement la détermination du jeune <strong>Gallois</strong> dont<br />

l’entêtement semblait égal à la naïveté. Aussi, sans ajouter une parole, introduisit-il <strong>Perceval</strong> dans une<br />

chambre où l’on avait dressé un bon lit à son intention. Et aussitôt couché, celui-ci sombra dans un<br />

profond sommeil.<br />

<strong>Le</strong> lendemain, dès les premiers rayons du soleil, Gornemant se leva et s’en alla droit dans la chambre<br />

du jeune <strong>Gallois</strong>. Il y fit apporter une chemise et des braies de fine toile de lin, ainsi que des chausses<br />

teintes en rouge et un manteau de soie violet. « Ami, dit-il à <strong>Perceval</strong>, si tu m’en crois, tu prendras ces<br />

vêtements-ci. – Certes non, répliqua <strong>Perceval</strong>. Regarde les vêtements que m’a donnés ma mère : ils sont<br />

solides et valent bien mieux que ceux que tu m’offres. Pourquoi voudrais-tu que j’en change ? – Mon ami,<br />

dit Gornemant, je ne me disputerai pas avec toi là-dessus. Souviens-toi seulement que tu as promis, en<br />

pénétrant dans ma demeure, d’observer tout ce que je te commanderai. – Il est vrai, dit le jeune homme, et<br />

je vois qu’il faut me résoudre à endosser ces vêtements. »<br />

Il revêtit donc les habits qu’on lui présentait, puis Gornemant s’inclina pour lui fixer l’éperon droit,<br />

ainsi qu’alors le voulait la coutume de l’adoubement. <strong>Le</strong>s valets se pressaient nombreux tout autour pour<br />

armer le jeune homme. Quand ils eurent terminé, Gornemant prit l’épée, la lui ceignit et lui donna<br />

l’accolade. « En te remettant l’épée, dit-il, je te confère l’ordre de chevalerie qui ne souffre aucune<br />

bassesse. Frère, souviens-t’en chaque fois qu’il te faudra combattre. Si ton adversaire vaincu implore sa<br />

grâce, tu dois l’écouter et la lui accorder. Il serait ignominieux pour toi de tuer un homme qui reconnaît ta<br />

supériorité. S’il t’arrive de rencontrer un homme ou une femme dans la détresse, tu devras l’aider par<br />

tous les moyens, soit en lui prodiguant les conseils qu’il attend, soit en combattant afin que justice soit<br />

faite. Il faut que toujours la pitié soit la compagne de l’audace. Et chaque fois que tu passeras près d’une<br />

église, arrête-toi pour y prier afin que Dieu te garde des démons de l’enfer.<br />

— Sur ma foi, seigneur, s’écria <strong>Perceval</strong>, sois béni pour tous ces conseils ! Ma mère m’a toujours<br />

parlé comme tu le fais ! » À ces mots, le vieillard manifesta quelque agacement : « Frère, dit-il, arrête de<br />

parler sans cesse de ta mère, de répéter que c’est elle qui t’a donné des conseils. Tu es un homme et, en<br />

tant qu’homme, il t’appartient d’être responsable de tous tes actes. – Ainsi ferai-je, répondit <strong>Perceval</strong>.<br />

Chaque fois que je devrai agir, je le ferai selon la dictée de mon cœur.<br />

— Méfie-toi de ton cœur, repartit Gornemant, trop souvent ses impulsions t’empêcheront de réfléchir.<br />

Ne te laisse pas aller à des actes inconsidérés. Surveille aussi ton comportement vis-à-vis des femmes,<br />

mon ami. Si tu es vaillant et débonnaire, les dames et les jeunes filles tourneront les yeux vers toi, et tu en<br />

éprouveras beaucoup d’agrément. Mais garde-toi d’être inconstant avec elles. Si tu en viens à leur mentir,<br />

tu pourras en tromper beaucoup mais, sache-le, ruse et fausseté ne procurent que gloire éphémère. <strong>Le</strong><br />

rôdeur maudit le bois sec qui, dans les fourrés, se brise et craque alors qu’on s’avance en tapinois,<br />

réveillant le dormeur qu’on voulait surprendre. Applique à l’amour cette image. <strong>Le</strong> noble amour n’est pas<br />

dépourvu d’esprit, il sait user de ruse contre la mauvaise foi, mais attire sa défaveur et tu seras<br />

déshonoré, tu en porteras longuement la honte. Sache, mon ami, que l’homme et la femme sont une seule et<br />

même chose, comme le soleil qui brille aujourd’hui et qu’on nomme le jour. L’un et l’autre ne se peuvent<br />

séparer. Ils sont fleurs issues d’une même graine, comprends-le bien. »<br />

Bien que <strong>Perceval</strong> fût impatient de prendre congé, Gornemant lui dit encore : « Écoute un dernier<br />

conseil. <strong>Le</strong> silence est parfois préférable à la parole, et les bavards sont souvent incapables d’accomplir<br />

les actes dont ils jacassent. Ne te mêle pas des affaires d’autrui, ne pose pas de questions qui risqueraient<br />

de t’attirer la haine et le mépris. En revanche, lorsqu’on t’en posera une, il ne faudra pas l’ignorer mais,

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