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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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malgré le remue-ménage qu’avaient fait les gens d’Arthur tout autour de lui, il se trouvait toujours plongé<br />

dans sa méditation.<br />

Gauvain fit alors remarquer que personne n’avait le droit de troubler d’une manière aussi<br />

inconvenante un chevalier perdu dans ses pensées, car il se pouvait qu’il eût subi quelque chagrin,<br />

quelque perte, ou qu’il songeât tout simplement à une femme qu’il aimait. « C’est probablement cette<br />

inconvenance et cette impolitesse, ajouta-t-il, qui ont causé le malheur de ton sénéchal. Si tu le trouves<br />

bon, seigneur roi, j’irai voir si ce chevalier est sorti de sa méditation. Dans ce cas, je le prierai<br />

amicalement de te venir voir et de te parler. » En entendant le discours de Gauvain, Kaï éprouva tant<br />

d’irritation qu’il se répandit en paroles haineuses et courroucées. « Gauvain ! s’écria-t-il, je ne doute pas<br />

que tu ne l’amènes en tenant ses rênes ! Bien minces seront ta gloire et ton honneur pour avoir vaincu de<br />

la sorte un chevalier sans doute exsangue et épuisé par de nombreux combats. Au demeurant, voilà<br />

comment tu t’es tiré bien souvent d’affaire. Tant que tu conserveras ta langue et tes belles phrases, il te<br />

suffira d’une robe de fine toile en guise d’armure ! Tu n’auras certes besoin de rompre ni lance ni épée<br />

pour te battre avec un chevalier que tu trouveras dans un tel état !<br />

— Kaï, répliqua calmement Gauvain, tu pourrais, s’il te plaisait, tenir un langage plus aimable à<br />

l’égard de ceux qui ont toujours été loyaux envers toi. Est-ce vraiment à mes dépens que tu devrais<br />

rassasier ta fureur et ton ressentiment ? M’est avis en effet que je ramènerai ce chevalier sans qu’il m’en<br />

coûte bras ni épaule ! – Tu as parlé sagement, mon neveu, dit Arthur. Va, prends des armes convenables,<br />

choisis ton cheval et engage conversation avec ce chevalier qui m’intrigue tant. »<br />

Gauvain s’arma et se dirigea, sans se presser et comme si c’était un jeu, au pas de son cheval, vers<br />

l’endroit où <strong>Perceval</strong> continuait à méditer sur les gouttes de sang que sur la neige avait voulu boire le<br />

corbeau. Il le trouva de fait appuyé sur la hampe de sa lance, plus que jamais indifférent à ce qui se<br />

passait autour de lui, et, s’approchant en prenant grand soin de ne manifester nul signe d’impatience ou<br />

d’animosité, il lui dit d’une voix très douce : « Chevalier, veux-tu me faire l’honneur de me répondre ? »<br />

<strong>Perceval</strong> ne bougea pas d’un pouce. Au vrai, il n’avait rien entendu. Gauvain s’approcha davantage et fit<br />

le tour de <strong>Perceval</strong> de manière à se retrouver en face de lui. « Chevalier, reprit-il, si je savais que cela<br />

pût t’être aussi agréable qu’à moi, je m’entretiendrais volontiers avec toi. Je viens en effet te trouver de<br />

la part du roi Arthur, et te prier de le venir voir. Trois de ses hommes sont déjà venus t’aborder à ce<br />

sujet.<br />

— C’est vrai, dit <strong>Perceval</strong>, mais ils se sont présentés de façon fort désagréable, surtout le dernier qui<br />

m’a agoni d’injures imméritées. C’est à mon grand regret que j’ai dû me battre contre eux, car il me<br />

déplaisait grandement d’être ainsi dérangé dans mes pensées. Tu veux savoir pourquoi ? Je songeais à la<br />

femme que j’aime le plus, et voici comment m’est venu son souvenir : je me promenais sur la neige et, en<br />

voyant cette neige, les gouttes de sang et le corbeau qui tentait de les boire, je me suis mis à penser que la<br />

peau de la femme que j’aime est blanche comme la neige, que ses pommettes sont rouges comme le sang<br />

et ses sourcils noirs comme le plumage du corbeau.<br />

— Certes, répondit Gauvain, voilà une pensée qui n’est pas dépourvue de noblesse, je l’avoue, et je<br />

ne saurais m’étonner qu’il t’ait déplu d’en être distrait. – Qui es-tu ? demanda <strong>Perceval</strong>. – Gauvain est<br />

mon nom. Je suis le fils du roi Loth d’Orcanie et le neveu du roi Arthur. – Fort bien, dit <strong>Perceval</strong>. Puisque<br />

tu es des gens d’Arthur, peux-tu me dire si parmi eux se trouve un Homme Long qui ne sait proférer que<br />

paroles fielleuses et méchantes ? – Pour sûr qu’il y est ! Sache, mon ami, que cet Homme Long, comme tu<br />

l’appelles, est Kaï, le sénéchal et le frère de lait du roi Arthur. Et c’est le dernier chevalier contre lequel<br />

tu t’es battu. Il n’a pas lieu de s’en féliciter, car il s’est brisé le bras et l’omoplate en retombant sur le sol<br />

après que ton coup de lance l’eut projeté à bas de son cheval. – Eh bien ! dit <strong>Perceval</strong>, j’aime autant<br />

commencer à venger ainsi l’injure faite au nain et à la naine ! »<br />

Gauvain fut très étonné de l’entendre ainsi parler du nain et de la naine. Il regarda attentivement le

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