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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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Kengrun nous tient assiégés. Il a déjà dévasté toutes les autres forteresses que je tiens de mon père, et il<br />

ne lui reste plus à soumettre que Caerbeli. De jour en jour, ses forces se sont accrues, tandis que les<br />

nôtres s’amenuisaient. Hélas ! nos vivres sont épuisés : il n’en reste même pas pour le déjeuner d’une<br />

abeille. Et demain, si Dieu ne nous vient en aide, nous devrons rendre la place, car nous ne pouvons plus<br />

nous défendre. Tel est le sort qu’il nous faudra subir. Et moi, infortunée, je serai livrée avec la forteresse,<br />

car Clamadeu des Îles a proclamé partout qu’il ferait de moi son amie, que je le veuille ou non. Mais cela<br />

ne se fera pas. On ne me prendra pas vivante, car je me tuerai avant, ne lui laissant que mon cadavre.<br />

Clamadeu, qui me veut, n’embrassera jamais qu’un corps sans âme et sans vie. Dans un écrin, je conserve<br />

un couteau à fine lame d’acier dont je saurai bien me servir. Voilà, je t’ai tout dit, seigneur. Maintenant,<br />

je vais regagner ma chambre et te laisser reposer.<br />

— Non pas, dit <strong>Perceval</strong>, reste avec moi, s’il te plaît, douce amie. Il n’est pas l’heure de faire triste<br />

visage. Remets-toi, sèche tes pleurs et viens te blottir dans mes bras. Je t’en prie ; plus de larmes. Dieu,<br />

crois-moi, te donnera un meilleur lendemain que tu ne le prévois. Il ne sera pas dit que je t’aurai laissée<br />

dans ta détresse sans entreprendre de te défendre contre les persécuteurs et contre l’homme qui veut<br />

posséder ta beauté. » Et, ce disant, <strong>Perceval</strong> la couvrait de baisers. Blodeuwen se laissait faire, et<br />

l’ardeur croissante des baisers ne manqua point de la réconforter et de lui rendre l’espérance. Après les<br />

baisers vinrent les caresses, et après les caresses le jeu coutumier aux amants qui s’accordent. Ainsi<br />

furent-ils toute la nuit, flanc contre flanc, bouche contre bouche, jusqu’au matin, lorsque le soleil émergea<br />

par-dessus les montagnes.<br />

Alors Blodeuwen se leva, remit son manteau et regagna sa chambre sans réveiller personne. Sans<br />

aucune aide, elle se vêtit de ses plus beaux atours tandis que, dehors, ceux qui avaient veillé toute la nuit<br />

réveillaient ceux qui avaient dormi afin qu’ils prissent la relève sur les murailles. Blodeuwen s’en<br />

retourna vers la chambre du jeune <strong>Gallois</strong>. « Seigneur, dit-elle, que Dieu te donne le bon jour. M’est avis<br />

que tu ne t’attarderas pas ici : ce serait perdre ton temps. Tu vas nous laisser et je n’aurais garde de m’en<br />

attrister : je manquerais en effet à la courtoisie si je montrais regrets de ton départ. Et nous t’avons reçu si<br />

pauvrement ! Mais je prie Dieu qu’il te prépare pour ce soir un gîte meilleur, où tu puisses à discrétion<br />

trouver pain, vin, sel et toutes sortes de bonnes choses.<br />

— Par ma foi ! s’écria <strong>Perceval</strong>, ce n’est pas aujourd’hui que je m’en irai chercher un autre logis que<br />

le tien ! Quand je le quitterai, j’aurai ramené la paix en tes domaines, si toutefois Dieu me le permet. Et si<br />

je trouve ton ennemi sous tes murs, je serai bien fâché de l’y voir rester plus longtemps. Il n’y est pas<br />

chez lui, que je sache, et s’il persiste dans son projet, je jure de le combattre jusqu’à ce qu’il soit tué ou<br />

qu’il s’avoue vaincu ! »<br />

Blodeuwen vit que le jeune <strong>Gallois</strong> lui était tout acquis, et aussitôt l’espérance envahit son cœur.<br />

Mais, en fine mouche qu’elle était, elle n’en laissa rien paraître, et pour mieux s’assurer de la<br />

détermination de <strong>Perceval</strong>, elle tint à exprimer toutes ses réserves. « Certes, dit-elle, ce serait là une<br />

chose magnifique, et c’est de grand cœur que je deviendrais ainsi ton amie. Mais je ne veux pas que tu<br />

meures à cause de moi. Ce serait une grande pitié. Tu n’es pas d’âge, il me semble, ni de force à tenir<br />

contre un chevalier si grand, si fort et si expérimenté que celui qui attend sous nos murs. – Voire, riposta<br />

<strong>Perceval</strong>, et je t’en ferai instamment témoin, car je vais le combattre immédiatement, et nulle remontrance<br />

ne m’en empêchera. »<br />

Il réclama ses armes, et les valets s’empressèrent autour de lui. Quand il fut vêtu, on l’aida à monter en<br />

selle et on ouvrit la porte. Personne, parmi ceux qui se trouvaient là, ne pouvait s’empêcher de redouter<br />

l’avenir. « Seigneur, disaient-ils, que Dieu t’assiste en ce jour et châtie Kengrun, le maudit sénéchal qui a<br />

saccagé tout notre pays ! » Et tous de pleurer en le conduisant à la porte puis, une fois <strong>Perceval</strong> dehors,<br />

de s’écrier : « Beau seigneur ! que la Croix sur laquelle Jésus souffrit tant de maux te garde aujourd’hui<br />

de la mort ou de la prison et te ramène sain et sauf en tel lieu qu’il te plaise ! »

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