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Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois

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crains fort qu’on ne te l’ait pas enseignée la nuit dernière, à Corbénic. Un seul homme pourrait te la<br />

révéler, Govannon lui-même(20). Mais qu’il le fasse, et il mourra le jour même. On ne saurait autrement<br />

réparer cette épée, et je ne souhaite pas d’en venir à cette extrémité. – Assurément, soupira <strong>Perceval</strong>, s’il<br />

lui arrivait de se rompre, j’en serais extrêmement marri ! – Dans ce cas, <strong>Perceval</strong>, va ton chemin. Malgré<br />

ton extrême jeunesse, tu as commis bien des fautes jusqu’à présent, mais surtout parce que tu ignorais la<br />

valeur des choses. Maintenant, cousin, laisse-moi seule, je t’en ai suffisamment dit. Il t’appartient<br />

désormais de prouver que tu es celui que l’on attendait. »<br />

La jeune femme s’étendit sur le tertre et ne prononça plus un mot. <strong>Perceval</strong> garda les yeux fixés sur<br />

elle puis, après un instant d’hésitation quant à ce qu’il devait faire, il se décida : piquant des deux, il<br />

s’enfonça dans la forêt sans se retourner, comme de peur d’être tenté de rebrousser chemin.<br />

Il avait à peine parcouru deux portées d’arc quand il aperçut, non loin devant, un palefroi décharné qui<br />

avançait au pas. L’animal était si maigre qu’il grelottait sous son crin ras, et ses oreilles pendaient,<br />

flasques. Il n’avait que le cuir sur les os, et sans doute les chiens des villages qu’il traversait<br />

s’ameutaient-ils pour guetter l’instant où sa chute leur faciliterait la curée. Quant à la housse et aux<br />

courroies de sa selle, elles étaient si usées et râpées qu’elles ne méritaient plus guère cette appellation.<br />

De plus, l’animal portait la jeune fille la plus misérable que <strong>Perceval</strong> eût jamais vue. Elle eût semblé<br />

belle pourtant, n’eût été sa parure indigne. Car sa robe en haillons, rapetassée à gros points et ficelée<br />

d’invraisemblables nœuds, lui laissait les seins à l’air. Sa chair était hachurée comme à coups de<br />

lancette, tant l’avaient brûlée le soleil, ravinée la pluie et la grêle. Échevelée, sans voile, la jeune fille<br />

exhibait en outre un visage défiguré par les larmes et le froid.<br />

Et elle se lamentait : « Ah ! malheureuse que je suis ! disait-elle. Voici trop longtemps que je traîne, et<br />

sans l’avoir mérité, cette déplorable existence ! Dieu tout-puissant, je t’en conjure, envoie-moi quelqu’un<br />

qui me tire de peine, ou bien délivre-moi de l’homme qui me condamne à pareille turpitude. Je ne puis<br />

compter qu’il s’apitoie jamais. Vivante, je ne saurais lui échapper, et il refuse de me tuer. À moins qu’il<br />

ne se délecte du spectacle de ma misère, pourquoi recherche-t-il ma compagnie ? Ne devrait-il pas me<br />

plaindre, quand bien même je serais coupable ? N’ai-je pas déjà suffisamment expié, Dieu m’est témoin,<br />

mon innocence ? »<br />

C’est alors que <strong>Perceval</strong>, survenant à sa hauteur, lui dit : « Belle amie, que Dieu te protège ! »<br />

Aussitôt, elle tenta de couvrir sa nudité mais, en la voilant ici, sa pudeur la dévoilait ailleurs. Et comme<br />

elle se retournait, la vue du jeune homme lui arracha un grand cri. « Belle, reprit <strong>Perceval</strong>, n’aie pas<br />

peur ! Je ne te veux aucun mal, bien au contraire ! – Tais-toi et passe ton chemin, toi qui es cause de mes<br />

malheurs ! répondit-elle en sanglotant. – Comment cela ? s’étonna le <strong>Gallois</strong>. Je ne crois pas t’avoir<br />

jamais rencontrée ! – Tu as bien peu de mémoire, en vérité ! Ne te souvient-il pas du pavillon dans la<br />

clairière où tu t’es comporté en goujat ? »<br />

Stupéfait, <strong>Perceval</strong> la dévisagea, mais il ne put la reconnaître. « Est-ce à toi que j’ai pris un anneau, un<br />

pâté et un baiser ? demanda-t-il soudain. – Oui, répondit-elle dans un sanglot. Et c’est par ta faute que tu<br />

me vois aujourd’hui si changée. Aussi, si tu veux m’en croire, pars au plus vite ! – Moi, fuir ? s’écria<br />

<strong>Perceval</strong>. Devant quel danger ? Devrais-je avoir peur ? Qui donc me menace ? – Seigneur, je me montre<br />

trop indulgente en te conseillant la fuite ! Je devrais au contraire te dire de rester. Ainsi serais-tu châtié<br />

de ton audace, et je pourrais me réjouir de ta mort ! – Qui donc me menace ? répéta le jeune <strong>Gallois</strong>. – Ne<br />

le sais-tu pas ? dit-elle. L’Orgueilleux de la Lande se trouve tout près d’ici ! C’est lui qui m’oblige à<br />

courir les routes en ce pitoyable appareil, et ce parce qu’il m’accuse de t’avoir cédé, le jour où tu m’as<br />

surprise dans le pavillon de la clairière. Il a juré de se venger de toi, de moi, ainsi que de tous ceux qui<br />

m’approchent. Jusqu’à présent, nul, contre lui, n’a pu sauver sa tête. Cependant, sache qu’avant de<br />

frapper, il conte à tous pourquoi il m’inflige cet abominable traitement. Je te le répète, enfuis-toi pendant

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