Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
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emit à rire. « Et tu passeras des mois et des années à errer sans jamais le découvrir si quelqu’un ne t’en<br />
indique le chemin ! » <strong>Perceval</strong> se reprit soudain à espérer. « Peux-tu m’indiquer ce chemin ? s’écria-t-il.<br />
– Non, répondit l’homme. Je n’en ai pas la moindre envie. – Tu refuses donc de m’aider ? – Je n’ai pas<br />
dit cela. Mais réponds d’abord aux questions que je vais te poser. Sais-tu pourquoi ton épée s’est<br />
brisée ? – Oui, par ma foi ! je ne le sais que trop, hélas ! Mon épée possède une vertu : au premier coup<br />
que l’on en frappe, elle assure la victoire ; mais si on en frappe une deuxième fois le même adversaire, sa<br />
lame se rompt. Et c’est ce qui est arrivé. J’ai combattu le maudit <strong>Le</strong> Hellin, qui a tué mon père et s’est<br />
emparé de ses domaines, je l’ai atteint de telle sorte qu’il est tombé et qu’il se trouvait à ma merci. Or,<br />
mon cœur était si rempli de haine et de colère que je me suis acharné sur lui et l’ai frappé une seconde<br />
fois. – C’est bien répondu, dit l’homme à la hache. Je vois que tu as enfin compris que la haine mène au<br />
désastre. Jusqu’à présent, <strong>Perceval</strong>, tu n’as agi que par haine et par orgueil : l’orgueil qui te poussait à<br />
être le meilleur de tous, la haine qui t’aveuglait et t’empêchait de découvrir ce que tu cherchais avec tant<br />
d’obstination. » Ces paroles plongèrent <strong>Perceval</strong> dans une longue méditation. « Qui es-tu donc ? finit-il<br />
par demander.<br />
— Je suis celui qui t’a déjà parlé dans la forêt quand tu étais découragé, ne sachant où porter la tête de<br />
cerf et le brachet. Je suis celui qui, sous la forme d’un enfant, t’a montré le chemin qui menait vers la<br />
Colonne de Cuivre, qui, à califourchon sur une branche, se moquait de toi. – Merlin… murmura <strong>Perceval</strong>.<br />
– Oui, Merlin, ce vieux fou de Merlin qui paraît à tes yeux sous l’aspect d’un bûcheron parce que cet<br />
aspect t’intrigue et te fait réfléchir. On m’a souvent appelé le Fou du Bois, non sans raison d’ailleurs.<br />
Donc me voici, et je te pose une deuxième question : pourquoi veux-tu connaître la signification du <strong>Graal</strong><br />
et de la Lance qui saigne ? – Parce que j’ai commis une faute quand je suis allé à la cour du Roi Pêcheur :<br />
je n’ai pas alors demandé quel était le sens des prodiges, et mon silence m’a empêché d’accomplir mon<br />
destin. Je veux retourner à la cour du Roi Pêcheur et terminer les aventures. – Encore une bonne réponse,<br />
dit Merlin, mais en aucun cas tu ne seras le Bon Chevalier qu’on attendait. Oui, tu termineras les<br />
aventures, mais tu ne seras plus le seul : tu auras deux compagnons, et c’est à vous trois que vous<br />
accomplirez le destin. Mais je voudrais encore une troisième réponse, <strong>Perceval</strong> : pourquoi veux-tu<br />
absolument retourner à la cour du Roi Pêcheur ? – Parce que c’est là que se trouve le <strong>Graal</strong>. » Merlin se<br />
remit à rire.<br />
« Enfant ! s’écria-t-il, tu n’es qu’un enfant, <strong>Perceval</strong> à la Longue Lance ! <strong>Le</strong> <strong>Graal</strong> n’est pas plus à la<br />
cour du Roi Pêcheur qu’ailleurs, sois-en persuadé. Il est partout et nulle part. <strong>Le</strong> <strong>Graal</strong> n’est qu’un objet,<br />
<strong>Perceval</strong>, une simple coupe d’émeraude pour tes yeux ébahis. Mais je suis sûr qu’il apparaît à d’autres<br />
sous une forme bien différente. L’important n’est pas son apparence mais ce que cache cette apparence.<br />
Je suis devant toi sous l’aspect d’un bûcheron, mais je pourrais revêtir bien d’autres semblances ! »<br />
<strong>Perceval</strong> se tenait immobile, comme fasciné par les paroles de Merlin. Et, peu à peu, le jour baissait, une<br />
légère brume montait de la terre, noyant les derniers rayons du soleil.<br />
« Merlin ! toi qui connais les secrets de ce monde, que dois-je faire ? – Ressoude ton épée et va-t’en<br />
jusqu’au <strong>Graal</strong>. – Mais comment trouver le chemin du lac Cotoatre ? – Il ne m’appartient pas de te le<br />
révéler. Cependant, dis-moi, <strong>Perceval</strong>, il me semble que tu oublies facilement tes promesses ! Tu as<br />
oublié de revenir vers la belle Blodeuwen. Tu as renoncé à rapporter le brachet et la tête de cerf au<br />
Château de l’Échiquier. Tu as oublié de venger ton père. Et, maintenant, voici que tu oublies que tu as<br />
promis à la Reine, là-bas, sous sa tente, de l’aimer plus que toute autre femme au monde. – Mais je ne<br />
peux aimer toutes les femmes plus que toutes les autres ! » Merlin éclata encore de rire. « Et c’est<br />
maintenant que tu t’en aperçois ! Tu as pourtant entendu conter l’histoire d’Énéour et des douze dames, je<br />
crois ? Néanmoins, tu t’es laissé prendre aux charmes de la Reine. Eh bien, <strong>Perceval</strong>, va la retrouver et<br />
tiens ta promesse. C’est la Reine qui te conduira elle-même au lac Cotoatre, près de la demeure du<br />
forgeron Govannon. J’aime mieux que tu couches cette nuit avec elle que de te voir ferrailler dans la forêt<br />
et tuer tous ceux que tu risquerais d’y rencontrer. Sache, <strong>Perceval</strong>, que l’amour est plus fort que la haine.