Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
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ensanglantée et rouge.<br />
<strong>Le</strong>s habitants de Corbénic voient donc avec chagrin le retour des jours où s’achève la course de<br />
certains des astres qui, au firmament, s’élèvent très haut les uns au-dessus des autres et qui, d’une marche<br />
inégale, vont à l’encontre des autres étoiles : ces jours-là, en effet, règne sur la terre un froid mortel. De<br />
même, quand reviennent les changements de lune, la blessure devient plus douloureuse. Aux époques que<br />
je viens de te dire, le roi ne peut plus trouver le moindre repos. Un froid rigoureux le pénètre et torture sa<br />
chair plus glacée que neige. Or, comme le fer de la lance est enduit d’un poison brûlant, on le pose à<br />
nouveau sur la plaie. Il attire le froid hors du corps et se recouvre alors d’un cristal semblable à de la<br />
glace. Personne n’est assez fort pour détacher ce cristal du fer. Cependant, Govannon, un habile forgeron,<br />
a fabriqué deux couteaux d’argent capables de le découper de façon fort efficace. C’est grâce à une<br />
inscription magique qu’il a découverte sur un rocher que ce Govannon a pu connaître la vertu de ces<br />
couteaux. On prétend quelquefois que le bois d’amiante ne prend jamais feu ? Eh bien, dès qu’on jette sur<br />
l’amiante un morceau de ce cristal, on voit de grandes flammes jaillir, et l’amiante se consume<br />
entièrement. Telles sont les merveilles qu’accomplit ce poison sur le fer de la lance.<br />
« Quand la neige tombe et que le givre envahit les prés et les forêts, le roi ne peut ni marcher ni<br />
chevaucher, ni demeurer couché ni se tenir debout. Aussi s’adosse-t-il à un appui qui lui évite de<br />
s’asseoir. Il en a grand deuil, soupire et se plaint amèrement. Et quand la lune devient noire, il souffre de<br />
la même manière. Il est un étang et une rivière auprès de sa demeure : il s’y fait porter afin d’y savourer<br />
la douceur de l’air et de distraire l’atroce douleur que sa blessure lui inflige. Ces journées-là, il les<br />
nomme ses journées de pêche. Mais ce qu’il prend de poisson, tandis que le torturent ses souffrances, ne<br />
suffirait pas à ses besoins, et c’est en raison de ce passe-temps qu’on ne l’appelle plus que le Roi<br />
Pêcheur. Au demeurant, peu importe ce qu’on dit de lui : il ne connaît que la tristesse, la joie lui est<br />
étrangère. »<br />
<strong>Perceval</strong> reprit la parole : « Je l’ai vu en effet, dit-il. <strong>Le</strong> roi était dans une barque, sur la rivière, quand<br />
je l’ai rencontré. Il avait jeté l’ancre afin, je pense, de prendre des poissons ou de se divertir un peu.<br />
J’avais chevauché ce jour-là bien des lieues et j’étais épuisé. Je me demandais avec inquiétude où je<br />
trouverais un abri pour la nuit. C’est alors que le roi m’invita chez lui et m’indiqua le chemin que je<br />
devais suivre pour atteindre sa demeure.<br />
— Tu as accompli là une périlleuse chevauchée, dit l’ermite, car tous les chemins qui mènent à<br />
Corbénic sont soigneusement gardés. Chacun d’eux est tenu par une troupe d’hommes en armes, et il n’est<br />
ruse, feinte ou stratagème qui puissent permettre aux voyageurs de s’y aventurer. Tous ceux qui, à ce jour,<br />
ont prétendu passer par là se sont exposés à des dangers terribles. <strong>Le</strong>s gardiens du <strong>Graal</strong> ne reçoivent<br />
personne, hormis ceux qu’ils ont admis. Ils mènent une lutte à mort contre tous ceux qui veulent coûte que<br />
coûte violer les frontières du royaume, et ces imprudents risquent leur tête à chaque détour.<br />
— Cependant, s’étonna <strong>Perceval</strong>, je n’ai rien vu de semblable lorsque je me suis dirigé vers la<br />
demeure du Roi Pêcheur. – Cela prouve que tu devais y aller, répondit l’ermite. Ils étaient tous dans<br />
l’impatience de ta visite. Et la jeune fille qui portait le <strong>Graal</strong> s’attendait à ce que tu devinsses le maître<br />
du royaume afin de rendre à celui-ci vie et prospérité. Malheureusement, bien que tu sois habile à parler,<br />
tu n’as posé aucune question sur ce que tu voyais, et en cela tu as commis une lourde faute. – Sans doute,<br />
cher oncle, admit <strong>Perceval</strong>, mais je me suis juré de revenir chez le Roi Pêcheur et de poser les questions<br />
qu’il attend de moi. Ce serment, je l’ai fait et je ne m’en dédirai jamais. – Je ne saurais te donner de<br />
conseil à cet égard, dit l’ermite. – Cependant, dit encore <strong>Perceval</strong>, cette lance que j’ai vue, quelle estelle,<br />
et d’où vient-elle ? – Je ne puis rien te révéler d’autre, beau neveu. Ce n’est pas moi qui suis allé au<br />
château du <strong>Graal</strong>. Ce n’est pas moi qui guérirai le roi blessé. Ce n’est pas moi qui redonnerai vie et<br />
prospérité à son royaume. Je ne suis qu’un ermite qui pleure des êtres chers et qui expie ses fautes. »<br />
<strong>Perceval</strong> et sa sœur prirent alors congé de leur oncle et quittèrent l’ermitage sans plus attendre. Ils