Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
Le Graal tome 6 - Perceval Le Gallois
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<strong>Le</strong> comte s’en fut s’asseoir auprès d’Énide et lui dit : « Belle amie, il me semble qu’il n’y a guère de<br />
plaisir pour toi dans un pareil voyage en compagnie de cet homme. – Il ne m’est pas désagréable de<br />
suivre la route qu’il lui plaît de prendre, répondit-elle. – Mais, repartit le comte, tu n’as ni serviteurs ni<br />
servantes ? – Je m’en passe fort bien. J’aime mieux suivre cet homme que d’avoir quiconque à mes<br />
ordres. – Je vais te donner un bon conseil : reste avec moi, et je mettrai mon comté en ta possession. –<br />
Par Dieu tout-puissant ! s’écria Énide, cela ne sera pas. Cet homme est le premier et le seul à qui j’aie<br />
donné ma foi, et je n’ai pas l’intention de lui être infidèle. – Tu as tort, reprit le comte. Si je le tue, je<br />
t’aurai tant que je voudrai puis, une fois lassé de toi, je te jetterai dehors. En revanche, si tu y consens<br />
pour l’amour de moi, il y aura entre nous un accord indissoluble, tant que nous vivrons. » En réfléchissant<br />
à cette étrange proposition, Énide comprit que le comte était prêt à tout pour l’obtenir. Afin d’éviter le<br />
pire, elle trouva plus sage de lui inspirer confiance. « Seigneur, lui dit-elle, ce que tu as de mieux à faire<br />
pour ne pas m’attirer trop de honte est de venir ici demain m’enlever comme si je ne savais rien de tes<br />
projets. – Ainsi ferai-je ! » s’exclama le comte, tout joyeux. Alors, il se leva, prit congé et partit avec ses<br />
hommes.<br />
Énide ne savait trop comment parler à Érec de son entretien avec le comte, tant elle craignait<br />
d’accroître sa colère, son agitation et ses soucis. L’heure venue, tous deux allèrent se coucher, et si Énide<br />
dormit un peu au commencement de la nuit, elle se réveilla très vite, se leva et rassembla les armes<br />
d’Érec de façon qu’il pût les revêtir rapidement en cas de danger. Ensuite, avec beaucoup d’angoisse et<br />
d’appréhension, elle se pencha sur Érec qui dormait et lui dit à voix basse, très doucement : « Seigneur,<br />
réveille-toi et habille-toi. Écoute l’entretien que j’ai eu avec le comte et les desseins qu’il a sur moi. »<br />
Érec se réveilla, et elle lui révéla toute la conversation, sans en rien omettre. Quelque irritation qu’il<br />
éprouvât à l’entendre parler sans sa permission, il prit très au sérieux l’avertissement, se leva et<br />
s’habilla. Énide alluma une chandelle afin de l’éclairer pendant qu’il se préparait. « Laisse la chandelle,<br />
dit Érec, et dis au maître de maison de venir ici. »<br />
L’hôtelier s’empressa d’accourir, et Érec lui demanda combien il lui devait. « Peu de chose, en vérité,<br />
répondit l’hôtelier. – Eh bien, quelle que soit l’étendue de ma dette, prends mes dix chevaux et mes dix<br />
armures. – Dieu te le rende ! s’écria l’homme, mais je t’assure que je n’ai pas dépensé pour toi la valeur<br />
d’une seule de ces armures. – Peu importe ! tu n’en seras que plus riche. Et maintenant, écoute-moi :<br />
veux-tu nous guider hors de la ville ? – Volontiers. De quel côté désires-tu aller ? – Du côté opposé à<br />
celui par lequel nous sommes entrés hier. » L’hôtelier les conduisit aussi loin qu’il souhaitait. Alors,<br />
Érec ordonna à Énide de prendre de l’avance comme auparavant. Elle le fit et partit devant lui tandis que<br />
l’hôtelier retournait chez lui.<br />
Il venait à peine de rentrer qu’il entendit, autour de la maison, le plus grand fracas qu’il eût jamais<br />
entendu. Il regarda au-dehors et vit vingt-quatre chevaliers armés de pied en cap, le comte à leur tête.<br />
« Où est le chevalier étranger ? demanda le comte. – Par Dieu tout-puissant, seigneur, répondit l’hôtelier,<br />
il est parti voilà bien longtemps ! – Pourquoi l’as-tu laissé partir sans m’en avertir ? – Tu ne me l’avais<br />
pas commandé, seigneur. Autrement, je ne lui aurais pas permis de s’en aller. – De quel côté sont-ils<br />
allés ? – Je l’ignore. Tout ce que je puis te dire, c’est qu’ils ont pris la grande rue. » Tournant sitôt bride,<br />
les hommes du comte se précipitèrent vers la grande rue, mais ils n’y trouvèrent point trace d’Érec ni<br />
d’Énide et durent s’en retourner chez eux, le comte triste et furieux que se fût échappée celle qu’il<br />
convoitait tant.<br />
Cependant, Érec et Énide s’éloignaient au plus vite de la ville. Ils arrivèrent bientôt en vue d’une<br />
vallée que baignait une grande rivière traversée par un pont. Sur l’autre rive se dressait une ville forte<br />
dont les toitures étincelaient au soleil levant. Comme il se dirigeait vers le pont, Érec vit venir de son<br />
côté, à travers un épais bosquet, un chevalier monté sur un destrier gros et grand, au pas égal, fier et<br />
docile. Érec le salua et lui demanda qui possédait la vallée et la ville forte. « Je vais te le dire, répondit