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– Nous avons été mis devant le fait accompli. Vous pensez bien qu’on ne nous a<br />
pas demandé notre avis. Ils font ce qu’ils veulent.<br />
– Si c’est pas malheureux ! Tiens bon, mon Tonio, on est tous avec toi, répète-telle<br />
en m’embrassant.<br />
– C’est bien vrai, on est tous avec toi.<br />
La voix est venue du fond du couloir. Je n’ai pas vu approcher M. Boulard qui<br />
me prend par le bras et m’entraîne en direction de son bureau.<br />
– Je vous l’enlève, mademoiselle Irène.<br />
C’est la première fois que <strong>je</strong> pénètre dans cette pièce.<br />
– Assieds-toi, me dit-il en désignant l’une des trois chaises recouvertes de tissu<br />
rouge, disposées autour de son bureau ovale en bois clair.<br />
Comme <strong>je</strong> m’y attendais, tout est parfaitement rangé, avec une petite pile de<br />
dossiers à droite, un ordinateur à gauche et, au centre, deux pots de stylos, à<br />
l’effigie des Établissements Gaboriaud SA. M. Boulard a la réputation d’être un<br />
homme très ordonné et ça m’amuse de constater que son bureau est à son image,<br />
sérieux. Je sais qu’il n’est pas très aimé par les gars (« C’est pas un marrant », disait<br />
Frémion), mais ils reconnaissent qu’il est efficace dans le boulot (« même s’il suce<br />
un peu trop la bite du boss », ajoutait toujours Frémion). Il s’installe dans un gros<br />
fauteuil de cuir noir. Je m’assieds à mon tour.<br />
– Tu veux un café, Antonio ?<br />
– Non merci, monsieur Boulard.<br />
Il appuie sur l’interphone et <strong>je</strong> l’entends dire :<br />
– Jocelyne, apportez-nous deux cafés, s’il vous plaît.<br />
Il a compris que <strong>je</strong> n’ai pas osé accepter sa proposition, car <strong>je</strong> n’ai pas l’habitude<br />
de me retrouver dans le bureau d’un patron. Je ne m’y sens pas à l’aise, pas à ma<br />
place. Autant <strong>je</strong> peux être grande gueule avec les gars et leur claquer le beignet<br />
quand il faut, autant avec un patron <strong>je</strong> ne sais pas trop quoi dire. Il demande :<br />
– Tu n’as pas vu que <strong>je</strong> t’ai fait signe de m’appeler ?<br />
– Si, monsieur Boulard, mais ce matin <strong>je</strong> n’ai pas eu une minute à moi. C’est que<br />
<strong>je</strong> suis seul aux transpalettes, maintenant.<br />
– On ne va pas se plaindre qu’on ait du boulot, Antonio !<br />
– <strong>Ce</strong> n’est pas ce que <strong>je</strong> voulais dire. Je préfère bosser à bloc, vous pouvez me<br />
croire, dis-<strong>je</strong>, me sentant un peu pris en faute.<br />
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