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Christine Boulard<br />
Il est plus de 20 h 15 et Jean-Pierre n’est toujours pas rentré. Il sait parfaitement<br />
(<strong>je</strong> le lui ai répété tant de fois) qu’il doit être là avant 20 heures s’il veut manger<br />
chaud. Aussi, à bout de patience, <strong>je</strong> pousse les enfants dans la cuisine pour passer à<br />
table immédiatement, sans l’attendre. J’en ai assez d’être à la disposition de<br />
« monsieur ». Avant, ça me paraît si loin désormais, <strong>je</strong> faisais manger les enfants et<br />
<strong>je</strong> l’attendais. J’ose même dire que j’appréciais nos dîners en tête à tête, enfin<br />
débarrassés des gosses. Jean-Pierre avait tant de choses à raconter sur sa journée !<br />
Maintenant, quand il lui arrive de traîner, <strong>je</strong> dîne avec les petits, et tant pis si sa<br />
viande est tiède. Il n’y a rien de pire qu’une entrecôte réchauffée. Jean-Pierre en a<br />
fait l’expérience à une ou deux reprises et <strong>je</strong> pensais que ça l’avait calmé. Je ne suis<br />
plus « madame deux services » !<br />
J’ai mis du temps à le dresser, mais à présent, question horaires, il file doux.<br />
Sinon, ce serait « régime viande tiède et la gueule toute la <strong>soir</strong>ée » ! Depuis qu’il y a<br />
goûté, il rentre directement du travail. Finis les apéros avec les amis, enfin, quand <strong>je</strong><br />
dis amis... <strong>je</strong> préfère ne pas penser qu’il y a une poule là-dessous. Les copains sont<br />
souvent un bon alibi, les femmes le savent bien. Mon Jean-Pierre <strong>je</strong> le connais, à<br />
faire le beau avec la première pétasse venue. Mais j’ai définitivement mis les choses<br />
au point : plus d’apéro en sortant du boulot, sinon c’est viande tiède ! Et, question<br />
pétasses, j’ai été très claire : si <strong>je</strong> le prends en faute, il le regrettera. Évidemment, il<br />
a nié, comme à son habitude, il m’a traitée de « paranoïaque », mais <strong>je</strong> crois (<strong>je</strong> suis<br />
même sûre) qu’il a retenu la leçon. Seule la curiosité (ou l’habitude) me pousse<br />
encore à fouiller sa messagerie sur son portable. Je sais que <strong>je</strong> n’y trouverai rien,<br />
soit parce qu’il est très prudent, soit parce que, plus probablement, il file droit<br />
désormais. J’ai tendance à pencher vers la deuxième hypothèse, car avec les cartes<br />
que j’ai en main, il n’a pas intérêt à faire de bêtises.<br />
Alors, pourquoi n’est-il toujours pas là ? Je refuse de l’appeler sur son portable.<br />
Tandis que les enfants mangent bruyamment (j’ai du mal à supporter cela mais <strong>je</strong> ne<br />
peux pas faire constamment la police...), j’ai remis son steak sur le feu. <strong>Ce</strong> sera ma<br />
petite vengeance, car il apprécie la viande saignante et, là, elle sera bien cuite !<br />
20 h 30. Je m’impatiente, <strong>je</strong> fais des allers-retours à la fenêtre. Il le paiera cher<br />
s’il pue l’alcool et la pouffiasse.<br />
– Il est où, papa ? demande Amandine de sa petite voix si agaçante.<br />
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