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m’avait expliqué Noémie à l’époque. De toute façon, c’était lui ou moi. Je ne<br />
manque pas de propositions, croyez-moi. »<br />
Je ne saurais l’expliquer mais Mlle Dupouy m’a à la bonne. Elle se mêle peu aux<br />
autres mais vient souvent me parler et nous nous retrouvons parfois à la cantine<br />
quand M. Delmas ne la garde pas pour lui. Je sais beaucoup de choses d’elle, son<br />
mec, son chien, son appart, ses vacances au Club Med, et quand elle juge<br />
sévèrement « ce paquet de cons qui travaillent à la boîte », <strong>je</strong> suis content de ne pas<br />
en faire partie. Si elle n’était pas la chasse gardée du patron et si <strong>je</strong> n’a<strong>vais</strong> pas pris<br />
la résolution de me tenir à carreau, surtout dans la boîte, elle serait bien le genre de<br />
petite salope que <strong>je</strong> me farcirais. Je me demande souvent comment <strong>je</strong> réagirais si<br />
elle me faisait du rentre-dedans. Faut reconnaître qu’elle a un joli petit cul. La<br />
gueule, ce n’est pas tout à fait ça, mais le cul...<br />
– Le boss doit la baiser avec un sac sur la tête, rigolent les gars.<br />
<strong>Ce</strong> jour-là, j’ai ajouté, histoire de les faire marrer :<br />
– Sauf s’il la prend en levrette !<br />
Comme si <strong>je</strong> n’étais pas capable, moi aussi, de faire de bonnes blagues !<br />
Les gars m’ont regardé d’un drôle d’œil. Ils n’ont pas l’habitude que le numéro<br />
deux de la boîte plaisante avec eux. J’ai la réputation d’être un chef assez strict et<br />
plutôt distant. Avec moi, comme on dit, « on n’est pas là pour la déconne ». Mais<br />
cette bonne blague m’avait échappé. Comme quoi, même les meilleurs peuvent se<br />
louper. Un silence gêné s’est installé et <strong>je</strong> suis remonté dans mon bureau, bien<br />
décidé à éviter désormais ce genre de familiarités. J’a<strong>vais</strong> oublié la règle de base :<br />
quand on est le boss, il faut garder ses distances avec les employés.<br />
<strong>Ce</strong> mardi matin, elle est à la fenêtre de mon bureau, un gobelet de café à la main.<br />
Et <strong>je</strong> me contente de l’observer à la dérobée.<br />
Elle vient souvent boire son café du matin chez moi, « avant de plonger dans les<br />
comptes ». Je sais qu’elle se fait sauter par le patron. S’ils croient que leur petit<br />
manège m’a échappé... Sinon, comment serait-elle arrivée aussi vite et aussi haut,<br />
après avoir obtenu la peau de Lenoir ? Tiens, en voilà un autre qui n’a pas retrouvé<br />
de boulot depuis.<br />
Elle s’est retournée si rapidement qu’elle a dû surprendre mon regard posé sur<br />
elle. Elle s’écrie, tandis que <strong>je</strong> sirote mon café à petites gorgées :<br />
– Venez voir, monsieur Boulard ! Vite !<br />
Après tout ce temps, elle continue à m’appeler « monsieur ». Je préférerais<br />
« Jean-Pierre », comme <strong>je</strong> le lui ai dit une fois, mais elle « n’y arrive pas ». Je<br />
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