Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Ce ne sont pas ses ronflements qui m’ont tenue éveillée jusqu’à maintenant.
Depuis longtemps j’ai fini par m’y faire et, lorsqu’ils sont trop bruyants et qu’ils me
réveillent, je sais que j’ai des boules Quies dans le tiroir de la table de nuit.
D’ordinaire, je le secoue, et ses ronflements s’arrêtent quelques instants, le temps de
me rendormir dans un silence parfait. J’ai la chance, depuis toujours, de pouvoir
trouver le sommeil facilement. Je plains de tout mon cœur les femmes obligées de
supporter les bruits de leur mari, qui finissent par faire chambre à part.
Heureusement, j’ai mes bouchons d’oreilles, car je n’aimerais pas ne pas dormir
dans le même lit que lui. Ce n’est pas que je l’aime ou que j’apprécie sa façon de
me baiser une fois par semaine, mais les enfants ne comprendraient pas, et, de toute
façon, le problème est réglé puisque nous n’avons pas la place à la maison... Quant
à savoir si je l’aime, franchement, il y a longtemps que cette question ne me
tracasse plus. Lorsqu’il m’a trompée, je me suis sentie trahie et je l’ai détesté, j’ai
même envisagé de le quitter. Mais petit à petit, nos relations se sont apaisées et j’ai
trouvé mon équilibre entre l’indifférence à son égard et la vie finalement assez
agréable que je mène à ses côtés. Je crois que beaucoup de couples fonctionnent
ainsi, et que la séparation n’est pas la bonne solution. J’ai été très amoureuse de lui,
je n’ai pas honte de le dire, mais il faut croire que l’amour ne peut pas durer toute la
vie... Un couple se construit autrement, grâce aux enfants et aux projets que l’on
bâtit ensemble, pour eux et pour nous. Jean-Pierre et moi aurions sans doute
continué ainsi longtemps, mais tout a basculé le jour où j’ai compris qu’il avait
renversé le gamin et qu’il s’était enfui. À présent, c’est plus fort que moi : il me
dégoûte, je le méprise. C’est en serrant les dents et en comptant les secondes que je
supporte désormais qu’il jouisse en moi une fois par semaine.
Cette nuit, l’envie de lui dire que je sais tout me tient encore éveillée, et je viens
d’entendre sonner 3 heures à la pendule d’en bas. J’ai la rage en repensant à sa
satisfaction insolente. Je ne supporte pas l’idée qu’il se croie désormais totalement à
l’abri. Il va reprendre ses aises, maintenant que l’autre innocent a avoué. Jusqu’ici,
je me suis contentée d’avancer à coups de petites allusions perfides, à fleuret
moucheté, comme on dit. Mais, ce soir, je suis bien décidée à lui enfoncer le
poignard dans le bide, jusqu’à la garde.
J’ai toutes les preuves de sa culpabilité en tête. Je sais qu’il n’a pas crevé ce soirlà.
Je ne suis pas totalement idiote, mon cher mari, j’ai vérifié, pendant que tu
regardais la télé, que la roue de secours était toujours à sa place. Cela m’a alertée, tu
m’as menti. Ensuite j’ai aperçu les traces d’un accident à l’avant de sa voiture. Bien
87