Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Nous avons appris dans la matinée que le fils de Rodriguez avait été tué par un
chauffard. Je ne vous raconte pas le traumatisme dans la boîte, et, toute la journée,
nous avons tourné au ralenti. Rodriguez, paraît-il, est passé à la boîte en fin de
matinée, mais il l’a fait si discrètement que personne ne l’a aperçu. Même moi, je
n’ai rien vu, alors que mes fenêtres donnent sur la cour et le parking et que mon
bureau est à l’étage du boss. « Il n’a voulu croiser personne à l’exception de
M. Delmas et moi », nous a expliqué Irène, l’assistante du patron. J’étais avec les
gars du service expéditions quand elle est descendue pour nous parler.
– Si vous aviez vu dans quel état était ce pauvre garçon... Il est venu demander
une semaine de congé pour enterrer son enfant. Comme s’il ne pouvait pas le faire
par téléphone... Il ne méritait vraiment pas ça, Tonio.
Sa phrase est restée en suspens, sans réponse. Les gars, tout comme moi, étaient
tous surpris et déçus qu’Antonio soit venu au boulot aujourd’hui sans saluer
personne. Mais j’ai pu me rendre compte à quel point ce gars-là était apprécié de ses
collègues. Vraiment, ce Tonio, tout le monde l’aime ici, au service expéditions. Ça
saute aux yeux.
Je suis resté en retrait pour le seul plaisir d’observer Irène. Elle a dû être une
belle femme, mais évidemment avec l’âge... Comme me dit Christine : « La beauté
et la jeunesse ne durent pas toute la vie, malheureusement. Il faut savoir accepter de
vieillir. » Elle n’arrête pas d’acheter des revues débiles, et, franchement, elle
m’épate. Elle sait tout sur les stars. Comment peut-on se passionner pour des
conneries pareilles ? Elle repère aussitôt les vedettes qui se sont fait tirer la figure et
elle les plaint de « ne pas accepter l’usure du temps ». Attendant mon approbation,
elle ajoute :
– Ces femmes doivent être mal dans leur peau pour faire ça.
– De qui tu parles ? lui dis-je.
Elle n’attend que ça et elle me cite une série de noms de stars (ou supposées
telles) dont j’ai à peine entendu parler. Je commence à comprendre ce qu’elle fout
de ses journées !
Irène est une femme à poigne et on dit que le patron file droit avec elle, certains
jours... Mais, jusqu’à aujourd’hui, je ne l’avais jamais vue ainsi, les yeux rougis,
tout près de craquer. La rapide visite de Rodriguez l’a « bouleversée ». Elle nous
prend à témoin : « Qui ne le serait pas quand on a devant soi un homme qui vient de
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