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Christine Boulard<br />
Je vois immédiatement cette bouteille de Johnnie Walker, avec son étiquette<br />
rouge, posée au centre de la table, même si, absorbé par Les <strong>Expert</strong>s : Miami – il<br />
n’y a donc que ça à la télé française ? –, Jean-Pierre ne fait pas attention à moi, son<br />
verre vide posé sur le bras du canapé. J’ai horreur de ce laisser-aller, c’est plus fort<br />
que moi : <strong>je</strong> vois déjà les dégâts si, par mégarde, il renversait son verre. J’ai compris<br />
qu’il le fait exprès, rien que pour me faire chier. S’il croit que <strong>je</strong> <strong>vais</strong> passer sans<br />
rien dire, il se trompe.<br />
– Tu ne devrais pas boire, Jean-Pierre.<br />
Et, alors qu’il s’attend à ce que <strong>je</strong> range le whisky dans le bar du salon, j’attrape<br />
la bouteille et <strong>je</strong> bois directement au goulot une rasade, puis une seconde,<br />
longuement, en l’observant du coin de l’œil. Ensuite, <strong>je</strong> la remets à sa place. Je le<br />
plante là, <strong>je</strong> refuse de me retourner en l’entendant soupirer, se lever et reposer<br />
bruyamment la bouteille sur la table. Franchement, <strong>je</strong> n’en ai rien à foutre qu’il se<br />
bourre la gueule. Je veux simplement qu’il soit convaincu que <strong>je</strong> ne le perdrai pas<br />
de vue. Je resterai attentive, mon salaud, et surtout maîtresse du <strong>je</strong>u. Tu penses avoir<br />
marqué des points, ce <strong>soir</strong>, en faisant le beau avec ton secret à la con ? Ne triomphe<br />
pas trop vite, Jean-Pierre. La vie est longue et, contrairement à ce que tu peux<br />
penser, tu ne m’as pas encore matée, tu peux me croire.<br />
En me lavant les dents (deux minutes sont nécessaires à une bonne hygiène<br />
dentaire et <strong>je</strong> m’oblige tous les <strong>soir</strong>s à cette discipline), <strong>je</strong> repense à notre face-àface<br />
de ce <strong>soir</strong>. Plus qu’un face-à-face, c’était un affrontement dont il pense sans<br />
doute, l’imbécile, être sorti vainqueur. Je n’aime pas la façon dont il m’a défiée, ni<br />
surtout sa morgue triomphante. Je n’arrive pas à me faire à l’idée que, en ce<br />
moment, il boive à sa victoire.<br />
Je m’en veux de ne pas avoir trouvé les mots pour lui clouer le bec. Je le connais,<br />
mon bonhomme. Il espère que <strong>je</strong> n’aurai pas le courage de le balancer aux flics, et<br />
que si <strong>je</strong> m’engage sur ce terrain, j’aie plus à perdre qu’à y gagner. Mais <strong>je</strong> sais<br />
aussi que <strong>je</strong> l’intrigue, désormais. Il ne veut pas le montrer mais il me craint, car il<br />
ne me contrôle plus et cela l’inquiète, j’en suis certaine. Et ce n’est pas la moindre<br />
de mes revanches.<br />
Évidemment, <strong>je</strong> lui ai laissé croire pendant des mois que j’a<strong>vais</strong> ce pouvoir. J’en<br />
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