Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Elle a bien vu, cette petite garce, que je bous d’impatience. Perverse comme elle
est, je suis sûre qu’elle le fait exprès rien que pour m’énerver. C’est bien la fille de
son père. Autant avec mes garçons ça devrait aller, autant avec celle-là, je n’ai pas
fini d’en baver. Cette gamine me prépare une adolescence difficile.
Je réponds que papa a été retardé au travail et qu’il va arriver et j’ordonne d’un
ton sans appel :
– Débarrassez, maintenant.
– Il est où, papa ? répète Amandine.
Je n’ai qu’une envie, qu’ils déguerpissent. Je ne veux pas qu’ils soient là à
l’arrivée de Jean-Pierre, et, surtout, je ne veux pas les voir se jeter dans ses bras ni
les entendre lui demander : « T’étais où, papa ? » Ne pas l’entendre mentir alors que
je commence à me dire qu’il a passé la soirée à roucouler avec une femme. S’il m’a
fait ça, je jure qu’il va le regretter. Je réponds sur un ton sans réplique :
– Allez vous coucher. Je finirai.
– Je laisse l’assiette de papa ? insiste Amandine, le verre de son père en main.
– Montez, j’ai dit. Disparaissez !
Quelques minutes plus tard, je les entends chahuter dans leur chambre. Il va
falloir que je monte les calmer, ces saligauds, ils ont bien vu que le retard de leur
père m’avait mise dans tous mes états et ils en profitent. Je déboule à l’étage et je
crie : « Au lit, maintenant ! » Ils comprennent que ma colère n’est pas feinte et
qu’ils ont intérêt à obéir, sinon, ils auront droit à une bonne fessée. Je suis de ces
mères qui ont la main leste ! Soudain, nous entendons la porte d’entrée s’ouvrir et
Jean-Pierre demander à la cantonade d’une voix forte :
– Y a quelqu’un ?
– Papa ! s’écrie Amandine la première.
Elle m’échappe, entraînant ses frères dans l’escalier, et ils se précipitent dans ses
bras. Calmement, je me dirige vers le palier et, du haut des marches, j’aperçois
Amandine en train d’embrasser Jean-Pierre dans le cou.
– Maman était si inquiète, murmure Kévin, me désignant en train de les observer,
les mains sur les hanches.
Je n’aime pas ces effusions. Que diraient ces gosses si maintenant je leur avouais
la vérité, que leur père chéri avait écrasé un petit enfant et qu’il s’était sauvé comme
un lâche ? En un instant, je pourrais détruire cette harmonie familiale insupportable,
mais je me contente d’ordonner :
83