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Pour la première fois depuis des mois, j’ai senti que j’étais sur une piste sérieuse.<br />
Son réflexe l’avait trahi, j’en étais certain.<br />
Les jours suivants, j’ai cherché à le provoquer. Moi, d’habitude si discret, <strong>je</strong> me<br />
suis mis à l’interpeller, <strong>je</strong> poussais mon avantage. J’allais vers lui, <strong>je</strong> lui tendais la<br />
main, <strong>je</strong> lui parlais du rythme des livraisons. Plus <strong>je</strong> le provoquais, plus il fuyait. Il<br />
ne descendait plus à l’entrepôt, les gars s’en étonnaient, mais, comme a dit<br />
Guiraud : « Au moins, il ne vient plus nous faire chier. »<br />
Lorsque j’arri<strong>vais</strong> le matin, <strong>je</strong> ne le quittais pas des yeux. Plus <strong>je</strong> le fixais à sa<br />
fenêtre, plus il reculait, mais <strong>je</strong> ne comprenais pas pourquoi il me guettait toujours<br />
là, immobile.<br />
C’est pourquoi j’ai décidé de l’attendre ce <strong>soir</strong>, sur les lieux de son crime. Je l’ai<br />
entendu me dépasser, reculer, puis m’appeler. Dans la voiture, j’ai senti sa peur, <strong>je</strong><br />
l’ai vu transpirer comme un porc et j’ai su avec certitude que c’était lui, l’<strong>assassin</strong><br />
de mon fils. Je n’a<strong>vais</strong> plus besoin de chercher davantage : l’angoisse si palpable de<br />
Boulard l’avait définitivement trahi.<br />
Lorsque <strong>je</strong> le tiendrai au bout de mon fusil, <strong>je</strong> le ferai s’agenouiller et il faudra<br />
bien qu’il avoue. Ensuite seulement <strong>je</strong> le <strong>tuer</strong>ai.<br />
Sur le moment, <strong>je</strong> n’ai pas éprouvé de haine, mais j’ai ressenti un profond<br />
soulagement. Quand <strong>je</strong> suis sorti de sa voiture verte, <strong>je</strong> n’ai pensé qu’à Sylvia et à<br />
ma promesse. J’ai calculé le temps qu’il me faudrait désormais pour la remplir.<br />
La haine, c’est maintenant qu’elle m’envahit, tandis que j’attaque mon steak un<br />
peu trop cuit. Dans le silence de la maison, j’entends Sylvia faire couler l’eau du<br />
robinet de la salle de bains et <strong>je</strong> sais qu’elle prend son médicament. Je la devine<br />
seule, malheureuse, et <strong>je</strong> ne peux retenir mes larmes. Je n’a<strong>vais</strong> plus pleuré depuis<br />
le matin où j’a<strong>vais</strong> vu le corps de mon fils dans le champ de maïs. Aujourd’hui, <strong>je</strong><br />
ne pleure pas pour moi mais pour elle, sa douleur est tellement la mienne, mais<br />
aussi parce que <strong>je</strong> réalise qu’elle va bientôt en sortir.<br />
Je <strong>je</strong>tte le steak à la poubelle. Soudain, bouleversé par sa souffrance, <strong>je</strong> ne peux<br />
résister davantage au besoin de partager mon secret avec elle. Il faut que <strong>je</strong> lui<br />
révèle maintenant, sans attendre, que j’ai enfin découvert qui est l’<strong>assassin</strong> de<br />
Victor. Elle sera apaisée. Je m’apprête à rejoindre Sylvia dans la chambre, pour lui<br />
dire que son cauchemar est terminé, qu’elle sera bientôt vengée, que <strong>je</strong> <strong>vais</strong> tenir ma<br />
promesse. Je suis déjà dans le couloir, quand mon portable sonne.<br />
– Monsieur Rodriguez ?<br />
Je reconnais cette voix. Je réponds sans entrain, presque agacé, car j’ai envie de<br />
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