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Plus les semaines passent, plus <strong>je</strong> me sens à l’abri. J’ai suivi l’enquête dans Le<br />
Parisien. Les gendarmes semblent baisser les bras. C’est un certain commandant<br />
Peyrot, un grand type tout en muscles et presque imberbe, qui, selon le journal,<br />
dirige l’enquête. Il l’a reconnu à demi-mot dans le dernier article paru la semaine<br />
passée en page locale sous le titre : « Affaire du chauffard de la départementale 2,<br />
les enquêteurs dans l’impasse ». « Nous recherchons le propriétaire d’une voiture<br />
verte. Des traces de peinture ont été relevées sur le vélo du petit garçon, mais en<br />
quantité si faible que nous n’avons pas pu déterminer avec précision la marque du<br />
véhicule. » « L’affaire risque-t-elle d’être classée ? » a demandé ensuite le<br />
journaliste. « <strong>Ce</strong> genre d’enquête n’est jamais abandonné, a répondu le commandant<br />
d’un ton assuré, mais la chance ou les remords de l’<strong>assassin</strong> peuvent encore faire<br />
évoluer favorablement nos investigations. » « Les remords ? » a interrogé le<br />
journaliste. « Comment peut-on continuer à vivre avec la culpabilité d’avoir fui<br />
après avoir tué un enfant ? a renchéri le commandant Peyrot. Comment peut-il se<br />
regarder dans la glace le matin ? Il faut que ce meurtrier vienne avouer, ne serait-ce<br />
que pour soulager sa conscience. Qu’il songe un instant à la douleur de la famille<br />
qu’il a détruite. Je fais appel à son reste d’humanité. »<br />
Et puis quoi encore ? Il voudrait que <strong>je</strong> me livre et que <strong>je</strong> passe aux yeux de tous,<br />
et surtout de mes propres enfants, pour un salopard ? Que <strong>je</strong> perde tout, alors que<br />
c’est le gamin qui s’est <strong>je</strong>té sur ma voiture ? Qu’il soit rassuré, <strong>je</strong> dors parfaitement<br />
et <strong>je</strong> ne me coupe pas en me rasant ! J’ai une famille à défendre dans cette histoire.<br />
Je n’en ai rien à cirer que le gamin ait été encore vivant, comme l’écrit ce<br />
journaliste en conclusion : « Quand le meurtrier a pris la fuite lâchement, l’enfant<br />
aurait pu être sauvé. » Qu’est-ce qu’il en sait, ce connard ? Je ne supporte pas les<br />
donneurs de leçons. Qu’il se demande d’abord ce qu’il aurait fait à ma place, au lieu<br />
de me traiter de lâche.<br />
Christine évoque de temps en temps ce qu’elle appelle « le drame de cette<br />
malheureuse famille ». Elle affirme qu’elle a été touchée comme si elle connaissait<br />
les Rodriguez. « Les pauvres gens. Pourvu que ça ne nous arrive jamais. Je ne m’en<br />
relèverais pas », assure-t-elle. Depuis, elle a interdit aux gosses d’aller jouer dans la<br />
rue sans surveillance car, dit-elle, en me prenant à témoin avec une étonnante<br />
insistance, « de nos jours, on n’est pas à l’abri des malades ». C’est vrai que<br />
personne ne respecte la limitation de vitesse à trente kilomètres/heure imposée en<br />
ville. C’est vrai aussi qu’il n’est pas facile de rouler au ralenti et même moi,<br />
d’habitude si prudent, j’ai du mal à avancer au pas, surtout quand les rues sont<br />
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