Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Elle tente de s’approcher de moi mais je n’ai que faire de son affection. Qu’est-ce
qu’elle craint ? Que je craque maintenant ? Il en faudrait plus aujourd’hui pour que
je m’effondre, et je les ai tellement impressionnées par mon calme, jusqu’à présent.
J’ai toujours refusé de leur livrer ma douleur et ma haine, alors que je voyais
qu’elles n’attendaient que ça. Combien de fois les ai-je entendues dire : « Elle est
forte, Sylvia, moi, je ne pourrais pas. » Elles ont bien vu tous les kilos que j’ai
perdus, cette mèche blanche au milieu du front, mon silence durant les journées, et
pourtant elles ont continué à dire : « Elle est forte, Sylvia. »
– C’est rien. Ne t’inquiète pas. Donne-moi plutôt une cigarette.
Je l’ai rassurée. Sa curiosité l’emporte sur sa gêne :
– Quand ? demande-t-elle. Quand est-ce qu’ils ont arrêté ce fumier ?
Elle sait que ce mot « fumier » ne peut que me faire plaisir.
– Hier soir. Je l’ai vu ce matin avec Antonio.
– Raconte, insiste-t-elle en me tendant une cigarette.
Je prends le temps de l’allumer avant de tout lui dire, jusqu’au crachat que j’ai
envoyé au visage de « ce fumier ».
– J’aurais fait comme toi, se contente-t-elle de commenter.
Je garde seulement pour moi les mots que j’ai prononcés. Le reste, elle pourra le
raconter aux autres. Parce que je sais qu’elle n’attend que ça, j’ajoute :
– Maintenant, je suis soulagée. C’était trop dur de savoir que l’assassin de Victor
était en liberté. Maintenant, il va falloir qu’il paie pour ce qu’il a fait.
– Il va prendre des années de taule, ce fumier, conclut-elle en m’attrapant les
mains.
Je n’ai pas réussi à échapper à son geste d’affection et je la laisse me prendre
dans ses bras.
– Il va payer, tu peux en être sûre, reprend-elle.
– Oui, il va payer, même si ça ne me rendra pas mon petit, dis-je en écrasant ma
cigarette. Montons, maintenant.
– Prends plutôt ta journée. Tout le monde comprendra, après de telles émotions...
– Non, c’est bon. Allons-y.
Je n’ai plus envie d’aller me promener. Pour moi aussi, le travail est peut-être un
refuge. Je me dirige vers l’ascenseur quand je l’entends demander :
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