26.03.2018 Views

Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Trois mois plus tôt.<br />

Jean-Pierre Boulard<br />

Le ruban rouge qui délimitait la zone de l’accident s’est détaché petit à petit pour<br />

finir dans le fossé, recroquevillé sur lui-même et couvert de boue. De jour en jour,<br />

j’ai suivi sa lente disparition. En septembre, il a résisté, enroulé à un piquet de bois,<br />

mais il a fini par céder un <strong>soir</strong> de novembre, après une journée de pluie. En<br />

décembre, il a erré pendant plusieurs jours dans le champ, poussé par le vent, avant<br />

de terminer dans son trou. <strong>Ce</strong> matin, <strong>je</strong> l’aperçois toujours, à peine visible dans les<br />

herbes.<br />

S’il n’y avait pas ce morceau de ruban, <strong>je</strong> ne sais pas si <strong>je</strong> pourrais reconnaître<br />

l’endroit précis où le gamin s’est <strong>je</strong>té sur ma voiture. J’y passe matin et <strong>soir</strong> pour<br />

me rendre au boulot car, en prenant ce raccourci, <strong>je</strong> gagne – pour l’avoir mesuré<br />

avec précision – 2,7 kilomètres. Chaque fois, <strong>je</strong> réalise à quel point <strong>je</strong> suis passé<br />

tout près des emmerdes. De très grosses emmerdes.<br />

Je ne me féliciterai jamais assez de ne pas m’être arrêté. Surtout avec tout ce que<br />

j’a<strong>vais</strong> dans le pif. Dieu sait ce qui me serait arrivé ! J’aurais probablement été<br />

malmené par les flics et fait quelques semaines de taule. J’aurais tout perdu, mon<br />

honneur, mon boulot, mes gosses, et aujourd’hui j’attendrais mon procès. Il aurait<br />

fallu que <strong>je</strong> paie un avocat et ces gars-là ne font pas de cadeaux. Je serais devenu<br />

une sorte de paria et j’aurais peut-être dû filer ailleurs. Je me demande souvent<br />

comment mes gosses auraient réagi. Aurais-<strong>je</strong> pu affronter leur regard et leurs<br />

interrogations ? Je ne préfère pas y penser... Sans parler de Christine. Elle aurait<br />

bien été capable de demander le divorce et de réclamer la garde des enfants.<br />

Il vaut mieux qu’elle ne sache rien. Avec elle, on ne sait jamais, et j’ai préféré lui<br />

cacher l’accident. Mais elle n’avait qu’une idée en tête et elle s’est obstinée pendant<br />

des semaines à exiger le remboursement de l’assurance pour le remplacement de<br />

l’aile avant endommagée. Qu’est-ce qu’elle a pu m’enquiquiner avec ça ! Elle en<br />

faisait un point d’honneur et elle y revenait tous les jours. « Tu as appelé<br />

l’assurance ? » répétait-elle inlassablement, à peine a<strong>vais</strong>-<strong>je</strong> franchi la porte<br />

d’entrée. Comme <strong>je</strong> répondais « pas encore », ou « j’ai oublié, <strong>je</strong> le ferai sans faute<br />

demain », elle insistait, presque menaçante.<br />

– Si tu veux, <strong>je</strong> m’en occuperai, mais il n’est pas question de leur faire de cadeau.<br />

Je te rappelle qu’on a une assurance tous risques qui nous coûte les yeux de la tête.<br />

Si tu ne veux pas t’en occuper, <strong>je</strong> le ferai. C’est une question de principe, Jean-<br />

56

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!