Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Pierre.
Je répliquais sur un ton qui se voulait sans appel :
– Non, c’est à moi de le faire.
Un matin, j’ai trouvé un Post-it sur le volant, avec ces simples mots inscrits au
feutre noir et en lettres majuscules : APPELER L’ASSURANCE, et je l’ai surprise
à la fenêtre de la chambre en train de m’observer. J’ai réussi à tenir jusqu’au retour
des vacances comme je l’avais planifié et, début septembre, après un dernier coup
de boutoir de ma « chère épouse », je me suis jeté à l’eau. J’ai fini par avertir
l’assurance et j’ai envoyé le devis du carrossier. Christine, qui ne lâchait pas
l’affaire, s’est étonnée que je l’aie choisi dans le 93. Je lui ai répondu que c’était un
cousin de Loubet, un type de la boîte, qui avait un peu gonflé la note pour
compenser le montant de la franchise. Mon mensonge n’a pas totalement suffi à la
calmer :
– On va voir combien de temps ils vont mettre à payer maintenant.
Trois semaines. Trois semaines pendant lesquelles elle n’a cessé de répéter : « On
n’a rien reçu. »
Je n’ai toujours pas compris pourquoi elle s’est tant obstinée. Peu importe, car
mes précautions n’ont pas été inutiles. Le changement d’aile est passé inaperçu,
alors que je lis dans Le Parisien que « les enquêteurs n’ont pas baissé les bras pour
retrouver le chauffard qui a renversé le petit Victor Rodriguez ». Des indiscrétions
faisaient même état de traces vertes relevées sur la bicyclette du petit.
Heureusement que Christine ne regarde jamais le journal... D’accord, ma femme
n’est pas très maligne, mais elle aurait été capable de faire le rapprochement. Et là,
je ne vous raconte pas le cirque qu’elle m’aurait fait... Mais je me demande encore
pourquoi elle ne m’a pas lâché pendant des semaines avec son histoire d’assurance.
Elle qui ne veut jamais s’occuper de la paperasserie sous prétexte que : « J’y
comprends rien à ces machins, je te laisse faire. »
En tout cas, je roule maintenant avec une voiture flamblant neuve, payée par la
Filia-Maif !
Les semaines passant, j’ai fini par me persuader que j’étais définitivement à
l’abri, que les flics étaient passés à autre chose. Ce ne sont pas les affaires qui
manquent dans le coin et ils se plaignent régulièrement dans le journal du manque
d’effectifs.
Franchement, je l’ai échappé belle. Et s’il n’y avait pas mes passages quotidiens
sur les lieux de l’accident et Rodriguez que je croise plusieurs fois par jour à la
boîte, j’aurais fini par oublier l’accident.
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