ne trouverait pas le sommeil. Pendant des mois nous avons vécu en pointillé, à nous observer, espérant seulement qu’aucun de nous ne s’effondre. Les week-ends sont encore plus pesants. Plus que jamais, j’accepte de travailler au noir avec mon cousin qui est peintre, et il me paie cinquante euros par jour. Je le ferais pour rien car <strong>je</strong> ne supporte plus de rester à l’appartement. Les week-ends où il n’a pas de boulot pour moi, <strong>je</strong> m’oblige à bricoler dans la cave, <strong>je</strong> m’acharne sur la maquette en bois d’un trois-mâts et <strong>je</strong> remplis les papiers, tandis qu’elle accompagne Priscilla à la danse, puis à Parly 2 où elle dépense pour la petite plus que de raison. Je n’ose rien dire quand <strong>je</strong> fais les comptes, <strong>je</strong> crains le moindre incident qui ferait éclater le fragile équilibre dans lequel nous nous sommes installés tous les trois. Depuis peu, sans même me prévenir, elle a demandé à travailler le dimanche. Là encore j’ai préféré ne rien dire. Au contraire, j’avoue que j’en ai été soulagé. Je m’occupe de Priscilla le matin et <strong>je</strong> passe l’après-midi devant la télé. À son retour, <strong>je</strong> m’échappe à la cave et <strong>je</strong> ne reviens que pour passer à table. La maquette est presque terminée et j’en ai acheté une autre encore plus difficile à monter. Dans l’entrée, au-dessus du guéridon, nous avons laissé la photo de Victor prise à Noël dernier, au moment où il découvre son cadeau. Il y a tellement de joie dans son regard. Il la voulait tant cette bicyclette rouge. Je voudrais déplacer le cadre, et que ce rappel permanent de cet instant de bonheur disparaisse. Un samedi matin, j’ai tenté de l’enlever, mais j’ai aussitôt renoncé. Elle a dit « non », et j’ai reposé la photo de mon fils vivant, si souriant. Nous n’avons pas touché à la chambre de Victor. La clef est cachée dans le tiroir de ma table de nuit. Nous ne voulons pas que Priscilla y entre et, quand elle réclame un jouet de son frère, l’un de nous va le chercher. J’y viens parfois lorsque <strong>je</strong> suis seul à la maison, et <strong>je</strong> vois qu’elle y fait le ménage. À la marque laissée sur le lit, <strong>je</strong> comprends qu’elle s’est assise, <strong>je</strong> sais alors qu’elle a pleuré en serrant sa peluche, mais elle ne m’en parle jamais. L’urne de bronze qui contient les cendres de Victor est posée sur l’étagère, à côté de sa collection de « Chair de poule » ; ces livres lui faisaient si peur qu’il hurlait et qu’il fallait monter le calmer. Je me fâchais, lui interdisais de les lire le <strong>soir</strong>, le menaçais de les <strong>je</strong>ter. Il pleurnichait, promettait de ne plus les ouvrir, mais il continuait à en acheter, c’était plus fort que lui. Comme, sans doute, d’avoir poussé jusqu’à la route ce <strong>soir</strong>-là, alors qu’il savait qu’il ne fallait pas. Souvent, <strong>je</strong> remarque que l’urne a été déplacée. Sylvia la serre-t-elle dans ses bras avant de la reposer ? Nous avions décidé de disperser les cendres dans l’océan, nous voulions le faire juste après la cérémonie. Puis, nous avons repoussé l’échéance aux vacances 39
au Portugal, où nous retournons tous les ans, mais de cela aussi nous n’avons plus reparlé. L’urne est donc restée chez nous quand nous avons rejoint mes parents au village, au nord de Porto. En montant dans la voiture, nous y pensions tous les deux. J’en suis sûr, pourtant, à aucun moment, tandis que nous nous éloignions, nous n’y avons fait allusion. Depuis des mois, <strong>je</strong> survis dans ce monde sans paroles, avec le seul espoir que, avec le temps, nous nous retrouverons. 40
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qu’il n’a rien fait, que ce n
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Christine m’a appelé à trois re
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le procès. - Moi, je ne pourrais p
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J’éteins le moteur. Il s’excus
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Depuis ce soir-là, je suis devenu
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- Il nie maintenant. Je refuse de p
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M. Boulard est à la fenêtre de so
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Jocelyne n’a pas été longue à
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Puis par l’interphone : - Jocelyn
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premier pastis et en commander un s
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jamais autant que ce soir je n’ai
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d’incrédulité et de rage froide
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- Tu vois que j’ai bien fait. Je
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Christine Boulard Je vois immédiat
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Comment a-t-il pu se faire avoir au
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plus doucement possible près de la
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disperser les cendres de Victor. Qu