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DEUXIÈME PARTIE<br />
22 février, 0 h 22<br />
Antonio Rodriguez range son fusil dans le coffre de sa voiture, puis il s’installe<br />
au volant. Il se sent calme et résolu, et rien ne peut plus l’empêcher maintenant<br />
d’accomplir sa vengeance. Il va <strong>tuer</strong> l’<strong>assassin</strong> de son fils, et tout à l’heure les<br />
gendarmes viendront l’arrêter. Il le sait, c’est dans l’ordre des choses. Mais, au<br />
moins, il aura redonné un sens à tout ce chaos.<br />
Il sort de la cité plongée dans le noir. Il n’y a aucune lumière, pas même celle des<br />
réverbères, éteints après minuit par mesure d’économie. Il a signé une pétition avec<br />
les autres locataires pour qu’ils restent allumés, mais la mairie n’a pas cédé quand<br />
ils se sont présentés à plusieurs pour soumettre la pétition. À l’instant même où il<br />
leur avait ouvert la porte, il avait compris qu’ils avaient hésité avant de venir.<br />
Depuis la mort de son fils, les gens ne savent pas bien comment s’y prendre.<br />
Personne ne les fuit, sa famille et lui, mais il voit bien que les gens de la cité<br />
préfèrent les éviter. Chaque fois qu’il croise quelqu’un de la cité, il reconnaît cette<br />
gêne dans son regard. Antonio voit bien qu’ils ne savent pas quoi dire et se<br />
contentent d’échanger un rapide bonjour. Peut-être se disent-ils que cela aurait pu<br />
leur arriver, qu’ils auraient pu, eux aussi, être touchés par le malheur.<br />
« Vous n’êtes pas obligé », avait tenu à préciser en préambule un grand type<br />
moustachu qu’il n’avait jamais vu, comme pour s’excuser. Le moustachu avait pris<br />
cette précaution, comme si la mort de son fils exemptait Antonio de signer la<br />
pétition. Aussi l’avait-il immédiatement signée et il avait essayé d’en savoir plus sur<br />
ses chances de succès, puis sur l’organisation du vide-greniers en février prochain.<br />
– Vous y participerez ? s’était étonné le moustachu.<br />
– Comme tous les ans. J’ai plein de saloperies dont <strong>je</strong> dois me débarrasser.<br />
<strong>Ce</strong>s vide-greniers faisaient la joie de ses enfants depuis qu’ils étaient en âge de<br />
gagner quelques euros. Ils les préparaient des semaines à l’avance.<br />
– Si vous avez besoin d’aide pour l’organisation de ce barnum, vous pouvez<br />
compter sur moi, avait-il ajouté.<br />
– <strong>Ce</strong> ne sera pas nécessaire. Mais, s’il le faut, on vous le dira, monsieur<br />
Rodriguez.<br />
La gêne s’était encore insinuée, plus pesante, insupportable.<br />
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