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de main. <strong>Ce</strong>la dit, <strong>je</strong> préfère, <strong>je</strong> ne supporte pas ces bonnes femmes discrètes qui ne<br />
disent rien de la journée, sauf pour parler de leurs gamins et de l’école. Moi, c’est le<br />
contraire : <strong>je</strong> donne le change et on peut m’entendre de la cuisine intervenir dans la<br />
conversation sur n’importe quel su<strong>je</strong>t. <strong>Ce</strong>rtains, <strong>je</strong> le vois, me trouvent grande<br />
gueule, il y en a même qui disent : « Avec Christine, il doit filer doux, le Jean-<br />
Pierre. » Et lui de répondre : « À la maison, c’est elle le boss ! Hein, Christine ? »<br />
Aussi, dans l’ensemble, on m’aime bien. Sans doute parce que <strong>je</strong> ne fais jamais<br />
d’histoires, que <strong>je</strong> ne la ramène pas plus que ça. S’ils savaient que <strong>je</strong> n’ai qu’une<br />
angoisse : que les parties s’éternisent et que Jean-Pierre invite ses copains et leurs<br />
femmes à rester dîner « pour finir les restes, puisque Christine sait si bien le faire.<br />
Ma femme réussit toujours des miracles, hein, Christine ? ». Je suis bien obligée<br />
d’acquiescer, de me montrer consentante, heureuse de les garder à dîner, tout en<br />
précisant quand même : « <strong>Ce</strong> ne sera rien d’extraordinaire. » À ceux qui préfèrent<br />
refuser, parce qu’il se fait tard, il propose toujours « un petit apéro pour la route ».<br />
– Christine, tu vas bien nous dégoter un saucisson des familles pour faire passer<br />
le pastaga ? insiste-t-il en les invitant à s’asseoir au salon.<br />
– Avec toi, on sait quand on arrive, mais on ne sait jamais quand on part,<br />
plaisantent nos amis.<br />
Jean-Pierre a invité aujourd’hui les Morin, « nos meilleurs voisins », comme il<br />
les appelle. Ils vont rappliquer à midi pétant avec leurs deux adolescents<br />
boutonneux, qui fileront après manger. Mais les parents s’incrusteront au moins<br />
jusqu’à « son » apéro. Ils doivent tellement s’emmerder chez eux qu’ils vont passer<br />
la journée chez nous. Et moi, <strong>je</strong> dois supporter le cirque indécent de Jean-Pierre, qui<br />
va encore sortir « son » ping-pong, puisqu’il fait beau. Il a déjà annoncé la couleur :<br />
– Il y a de la revanche dans l’air.<br />
La dernière fois, Morin l’a battu et il a dit : « Pour vous punir, vous allez rester<br />
dîner. » Ils ont dégagé vers minuit et il a fait promettre alors à Morin de revenir<br />
« pour lui donner une leçon de ping-pong ».<br />
– Pari tenu, a répliqué Morin. Mais si <strong>je</strong> gagne, c’est vous qui venez dé<strong>je</strong>uner la<br />
prochaine fois !<br />
Et ils se sont tapé dans la main comme des gosses de banlieue. Insupportable !<br />
– On est mieux là qu’en taule, exulte Jean-Pierre.<br />
Et <strong>je</strong> ne peux m’empêcher de penser : « Attends un peu, pour voir. »<br />
Désormais, ces journées, comme promet de l’être celle d’aujourd’hui avec les<br />
Morin, sont un calvaire. Je déteste ces dimanches où <strong>je</strong> suis obligée de sortir le<br />
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